Wladimir Tchertkoff

  

"ENFANTS DE TCHERNOBYL BELARUS"

Professeur Youri Bandazhevsky

 7 mai 2004

Bandajevsky, un oublié du droit


Les autorités biélorusses ne cherchent même plus à revêtir d'oripeaux juridiques formels leur comportement illégal à l'encontre du brillant scientifique, qui a osé défier les dogmes officiels sur les conséquences sanitaires de la catastrophe de Tchernobyl.

Le 8 février dernier l'amnistie générale a été appliquée à Youri Bandajevsky arrêté pour terrorisme et condamné, en juin 2001, sans preuves à 8 ans d'emprisonnement pour corruption, dans un procès au cours duquel l'OSCE a dénombré 8 infractions au code pénal du Belarus. Début mars, ayant purgé la moitié de la peine réduite de 2 ans par 2 amnisties, s'il était un détenu normal, Bandajevsky aurait pu quitter la prison et aller en relégation dans un village du Belarus dans des conditions de détention de type ouvert. Plus de trois mois se sont écoulés depuis que M. Kovtchour, le directeur du Comité d'exécution des peines, a dit à Galina :: "Si vous voulez mon opinion, il restera en prison encore un an."  Galina : "Mais la relégation..." - Kovtchour : "Vous savez où il a demandé d'aller?! Il a demandé Vetka! C'est un territoire contaminé à plus de 40 Ci au Km2. [...] Nous refuserons pour raisons de santé, nos médecins n'accepteront jamais. [...] Mon opinion est qu'il restera chez nous encore un an."

Galina vient de voir son mari du 3 au 5 mai dans "l'hôtel des visites" de la prison. Bandajevsky est maintenant convaincu que Kovtchour exprimait une décision déjà prise en haut lieu. Il pense qu'on le tiendra en prison jusqu'à la fin de sa peine, sans le faire bénéficier de la relégation ni de la liberté conditionnelle, à laquelle il aurait droit en janvier 2005 (aux 2/3 de la peine). Dans l'état actuel, sauf une nouvelle amnistie annuelle (probable, vu l'engorgement des prisons), la fin de la détention échoit en janvier 2007. L'argument Vetka était un mensonge, Youri n'a jamais demandé d'y aller, c'est eux qui lui ont imposé ce lieu, pour pouvoir ensuite jouer la carte des 40 curies de contamination . Ensuite ils ont utilisé l'argument santé : on a su qu'un document de l'hôpital a été transmis à la direction de la prison, disant qu'il ne pouvait pas aller en relégation. Puis, ce document a été retiré, car il contredisait la prose du gouvernement au Comité des Droits de l'Homme des Nations Unies, où il était question de la bonne santé de Bandajevsky grâce aux soins empressés et attentifs dont il était l'objet en détention. Alors, les geôliers ont inventé la "restructuration" des lieux de relégation, qui retardait celle-ci, disaient-ils, pour tous les détenus. Ce qui n'est pas vrai, car, au contraire, la prison est en train de se vider : la commission interne, qui se réunit une fois par mois, expédie en ce moment une quantité de dossiers chaque semaine, pour libérer des locaux et agrandir ceux de l'hôpital à cause d'une recrudescence des tuberculoses.

Un "Avis" est affiché en prison : il dit que quatre amnisties générales ont été décrétées de 1999 à 2004, et qu'elles s'appliquent également à ceux dont l'affaire était encore en instruction pendant cette période. Cet avis se réfère à un arrêt de février 2003 de la Cour Constitutionnelle. Sur cette base Bandajevsky, dont la peine serait réduite à 4 ans, jouirait de la pleine liberté en janvier 2005.  Mais, jusqu'à ce jour, son dossier n'a pas été soumis à l'étude de la commission interne pour la relégation. On l'ignore tout simplement. Les autorités cherchent toutes sortes de prétextes pour remettre à plus tard la déposition du dossier au tribunal et ne reconnaissent à Bandajevsky que 2 ans de réduction de peine. 

L'avocat Pogoniailo, qui a écrit aux autorités compétentes pour connaître le motif de la non application à Bandajevsky du droit à la relégation, ne reçoit pas de réponse. Il a téléphoné à Kovtchour qui n'a pas l'intention de lui écrire et a esquivé les questions de droit (continuant à se contredire) : "Vous êtes au courant. Nous ne considérons pas la  relégation possible pour raisons de santé", lui a-t-il répondu.

Le directeur de la prison est passé et a jeté, narquois, sur le lit de Bandajevsky les lettres envoyées par les 4 associations françaises, qui demandaient le respect de la loi : "Voilà, vous pouvez lire ça. C'est pour vous!" Une façon méprisante de faire savoir qu'il n'est pas concerné par ces appels.

Cette franchise répressive leur est imposée sans doute par l'extrême durcissement du régime de Loukachenko en ce moment. Le rapporteur du comité juridique de l'APCE, Christos Purgurides, vient de faire voter l'exclusion de la délégation officielle du parlement biélorusse des séances de l'Assemblée de Strasbourg, même sous la forme informelle d'observateurs: "Le temps des compromis et des yeux fermés sur ce qui se passe au Belarus est passé. Nous avons été trop démocratiques, en espérant en une amélioration de la situation. Et voilà le résultat de notre excessive indulgence: Loukachenko ferme les journaux, il persécute plus que jamais les journalistes, les organisations non gouvernementales, les syndicats et l'opposition politique."

Un autre signe du durcissement et de l'arbitraire du régime de Loukachenko, qui décide du droit à la tête du client, est la restriction du droit de visites de l'avocat en prison. Jusqu'à présent, l'avocat pouvait venir s'entretenir avec le détenu à tout moment et sans limitation de temps. Maintenant, une demande écrite doit être adressée à la direction de la prison, qui décidera si l'accorder ou pas. L'avocat Tsourko, qui travaillait pour l'OSCE et qui avait suivi l'affaire Bandajevsky pendant un certain temps au début de la détention, a dit à Galina qu'il ne pourrait plus s'en occuper, car on ne lui renouvelle plus sa licence d'avocat.

Loukachenko prêche à grande voix le repeuplement des territoires contaminés par Tchernobyl : "La vie est possible sur ces terres, la radioactivité a pourri désormais, elle a disparu! Ces terres doivent être réhabilitées, elle doivent être ensemencées, nous devons y faire croître nos enfants! Ce fut une grande bêtise d'en évacuer les habitants!" Si la morbidité y a augmenté 8 fois, "c'est parce que nos médecins travaillent bien", déclare Loukachenko à la télévision. Dans le cadre de cette politique officielle Garri Pogoniailo estime que Youri Bandajevsky est "un prisonnier personnel du Président." Il a dit à Galina : "pour le moment nous sommes impuissants".

Pour le moment, sur l'essentiel la politique de la communauté internationale ne se distancie pas beaucoup de celle de Loukachenko. En juin 2003, nous avons envoyé aux parlementaires européens, sous le signe de Bandajevsky, une critique détaillée du Programme international CORE, en l'accompagnant de cette mise en garde, adressée également aux commissaires européens responsables de l'opération :

Aux députés du Parlement européen et aux associations et initiatives
qui aident les enfants victimes de la catastrophe de Tchernobyl


 Les 13 initiateurs du Programme CORE - "Coopération pour la réhabilitation des  conditions de vie dans les territoires de Biélorussie contaminés par l'accident de Tchernobyl " - sont :

- Le Comité de Tchernobyl du gouvernement du Belarus
- Le Programme de développement des Nations Unies
- L'Ambassade de France
- L'Ambassade l'Allemagne
- La Commission Européenne
- La Direction pour le Développement et la Coopération de Suisse
- L'UNESCO
- La Banque mondiale
- Le Comité européen de partenariat et de préparation du Programme CORE
- Le Comité exécutif du district de Braguine
- Le Comité exécutif du district de Svetlogorsk
- Le Comité exécutif du district de Stoline
- Le Comité exécutif du district de Tchetchersk
 
Ce Programme
, qui doit démarrer au second trimestre 2003, fait abstraction des problèmes de santé dans une région où plus de 80% des enfants sont malades, suite à la catastrophe de Tchernobyl, alors qu'ils n'étaient que 20% avant 1986.
 
Le Mémorandum du Programme CORE, souscrit par les 13 partenaires, prévoit un audit international indépendant au bout de 5 ans d'activité, pour en évaluer l'efficacité. A notre avis, l'analyse critique que nous vous adressons, doit être largement connue et diffusée dès l'origine de ce Projet. La
catastrophe sanitaire dans les territoires contaminés par l'explosion du réacteur de Tchernobyl s'aggrave et se répand comme une épidémie majeure. Les populations contaminées, abandonnées depuis 17 ans par la communauté internationale, ne peuvent pas attendre ces 5 années supplémentaires d'un projet qui ne prévoit pas d'intervention médicale qualifiée.
 
Association "Enfants de Tchernobyl Belarus"
68480 Biederthal - France

www.comite-bandajevsky.org

[Lire au sujet de la gravité de la question sanitaire au Belarus, les articles de Michel Fernex, de Maryvonne David-Jougneau, de Solange Fernex et de Galina Bandajevskaya dans la monographie "Les silences de Tchernobyl" - Éditions Autrement, qui vient de sortir en librairie. Lire également "Libération" du 8 mai 2004, "XXI siècle/Santé - La pomme contre l'atome" et "Le césium, c'est comme une petite braise" par Laure Noualhat. ]

Depuis sa récente résurrection, Youri se porte bien, il est toujours combatif et ne mâche plus ses mots. Il a dit devant Galina, à voix forte, à un détenu apeuré arrivé en prison depuis peu (directeur d'une grosse entreprise de Minsk), une phrase qu'auparavant il n'aurait osé prononcer qu'en chuchotant dans les toilettes : "Mon cher, avec ce pouvoir-là nous ne sortirons pas de si tôt à cause d'une amnistie!".

Le 10 mars 2004, le Gouvernement du Bélarus a envoyé une information complémentaire au Comité des Droits de l'Homme des Nations Unies, où il est question d'un prétendu suivi médical en prison de la santé de Bandajevsky et de la visite que le Chef de la mission de l'OSCE lui a faite le 3 décembre 2003. Le texte ci-dessous est la réponse que Bandajevsky vient de signer pour le Comité des Droits de l'Homme de l'ONU  :

 

 

COMMISSIONER FOR HUMAN RIGHTS

UNITED NATIONS OFFICE OF THE HIGH COMMISSIONER FOR HUMAN RIGHTS

 

                   Palais des Nations

    CH-1211 GENEVE 10

       SWITZERLAND

Maria Francisca Ize-Charrine

Chief, Support Services Branch

 

Chère Maria Francisca Ize-Charrine!

 

Je vous envoie mes commentaires concernant la réponse du Gouvernement du 10 mars 2004 (dossier N°1100/2002)

 

Le professeur Youri Bandajevsky

Rue Chougaiéva 3-1-454

220141 Minsk

Belarus

 

1 . Moi soussigné Youri Bandajevsky je confirme que je souffre depuis plusieurs années d’un ulcère au duodénum. Depuis le jour où l’on m’a jeté en prison je n’ai jamais eu droit à un suivi médical concernant mon ulcère ni à un traitement anti-récidive courant pendant la période automne-printemps, lorsqu’on observe surtout les signes d’aggravation du mal (douleurs à l’estomac, aigreurs, perte de poids). Pendant la période d’aggravation, je n’ai eu droit à la colonie à aucun régime alimentaire diététique, je n’étais pas autorisé à recevoir des colis supplémentaires de chez moi sauf les 30 kg réglementaires une fois tous les quatre mois. Ce rythme des colis alimentaires ne permet pas d’assurer une alimentation adéquate, surtout une diète, quant à la nourriture de la prison, elle ne convenait pas du tout à mon estomac. Mais c’étaient « mes problèmes ». Grâce au fait que nous sommes, mon épouse et moi, tous deux médecins, nous arrivions à parer par nos propres moyens aux aggravations de ce mal, cependant c’était un traitement à tâtons dans le noir, sans examens ni observation médicale. Je recevais les médicaments nécessaires de mes collègues de France et de Suisse. Pendant les trois ans de ma détention je n’ai même jamais su que j’étais inscrit pour observation préventive et suivi médical auprès du médecin généraliste de la colonie N°1 ; pendant tout ce temps je n’ai jamais été examiné  et n’ai reçu aucun traitement préventif comme malade souffrant d’un ulcère.

 

A propos du rapport du chef de la mission de l’OSCE à Minsk

 

1.   On lit dans le rapport que M. Kovtchour a déclaré : après l’amnistie les autorités auront de bonnes raisons pour s’adresser au tribunal en demandant de remplacer la détention en prison par une forme de peine plus légère.

 Mon temps de peine a été abrégé d’un an le 8 janvier 2004. Mais les autorités n’ont jusqu’à présent déposé aucune demande d’allègement de ma peine auprès du tribunal. Elles cherchent toute sorte de prétextes pour remettre à plus tard la déposition du dossier au tribunal. C’était d’abord la nécessité de me soumettre à une expertise médicale pour voir si mon état de santé permettait  que j’exécute un travail physique en relégation ; puis la déposition des papiers fut encore repoussée de deux mois pour la raison que la colonie changeait soi-disant de statut. Pourtant les articles 90 et 91 du Code pénal de la République du Belarus déclarent que le peine de réclusion du condamné peut être remplacée par une forme de peine plus légère après l’écoulement de la moitié de son temps de réclusion. Tout ceci crée de nouveaux stress et est éprouvant pour les nerfs.

 

2.   Il est dit dans le rapport que Bandajevsky a connu des périodes de dépression et des problèmes cardiaques. Ceci est vrai. Pendant la période fin 2002 – 2003 j’ai connu un état de dépression qui était justifiée par la réclusion prolongée et par l'isolement du monde extérieur.

3.   On améliora les conditions de ma détention au bout d’un an de prison. Jusqu’alors je me trouvais dans un baraquement avec 80 autres détenus condamnés selon les articles les plus variés. Les demandes réitérées de ma femme et de ma mère auprès de la direction de la colonie pour que mes conditions de détention soient améliorées et que je puisse me consacrer à mon travail scientifique n’eurent aucun résultat.

 Ce n’est qu’après la visite que des membres du Parlement européen firent au professeur détenu, que des changements survinrent dans mes conditions de détention et qu’on me fournit un ordinateur destiné à la recherche scientifique. Je dois souligner que cet ordinateur, je ne pouvais l’utiliser qu’en guise de machine à écrire. La direction de la colonie avait interdit de transmettre  sur disquettes des informations scientifiques aussi bien dans le sens de la prison que dans l’autre, d’autant plus de me servir d’Internet ou de la poste électronique. Peut-on parler de recherche scientifique dans ces conditions ?

 

Y.Bandajevsky

 

Youri a été très surpris de recevoir dernièrement des lettres réjouies, qui le complimentaient et l'encourageaient sur la voie de son rétablissement moral et de sa reprise de lucidité sur le sens de ce qui lui arrive. Il ne comprenait pas : "comment le savent-ils? comment l'ont-ils compris?!" Alors Galina, qui craignait d'avoir été trop optimiste dans sa précédente communication, s'est décidée à lui montrer les Nouvelles de prison n.26 ("Ne crois rien, ne crains rien, ne demande rien"). Il a approuvé cette information, il l'a relue plusieurs fois, satisfait qu'elle soit transcrite ainsi et envoyée à tout le monde : "C'est comme si je l'avais écrite moi-même."

Youri exhorte ses amis à parler librement, à abandonner toute prudence, à ne pas craindre de dénoncer durement et en termes clairs la répression et les silences criminels sur les conséquences sanitaires de la catastrophe de Tchernobyl. Il a dit à Galina, qu'il ne craint plus rien pour lui-même : "Ils ne me laissent pas en paix. Je me sens sous une constante et attentive surveillance, mais c'est égal. J'ai compris. Je n'attends plus rien d'eux. Je continuerai mon travail. Ils ne peuvent plus rien contre moi. Je suis déterminé à porter ma croix jusqu'au bout. Je ne me trahirai ni ne m'humilierai devant eux. " Quand Galina lui a parlé de l'Europe et du Comité des Droits de l'Homme, dont nous attendons les actions et des résultats, il lui a répondu qu'il n'y mettait pas un grand espoir.

Il se rend compte que ses geôliers souhaitent éteindre la clarté et la vivacité de son cerveau en le privant de son activité principale. Pour cela, il s'efforce d'exercer son esprit en écrivant beaucoup à partir de ses connaissances acquises et des envois de publications qu'il reçoit (il réfléchit et travaille sur la structure des cellules, canaux de calcium dans les membranes…). Mais son vrai, son plein travail est la recherche sur la matière vivante, et cela lui manque indéniablement.

Youri a été très touché par une belle poétique surprise pendant la visite de Galina. A un certain moment, on le convoque par haut parleur dans le local des gardiens. Galina s'inquiète. Il y va et revient avec un paquet. Les gardiens ont voulu ouvrir devant lui un colis qu'il a reçu et en faire l'inventaire. Il contenait un rameau de laurier, des glands de chêne, deux pots de miel (dont un brisé) et des pruneaux. Un mot en français les accompagnait, que Youri a traduit à sa femme et qu'elle me répète au téléphone : "Nous vous souhaitons courage, force et santé." (Maude Chatillon - Le Coudray, 44630 Plessé - France). La couronne de lauriers ceignait le courage des vainqueurs à Olympie, le chêne symbolise la force, le miel et les pruneaux sont bénéfiques pour la santé. Il a été touché aux larmes. Ce sont les joies du prisonnier.

 

Wladimir Tchertkoff