Amnesty International - DOCUMENT PUBLIIC

 

BIÉLORUSSIE  -   Préoccupations d’Amnesty

International en Europe

Janvier - juin 2001

 


 

 

 

Index AI : EUR 01/003/01

ÉFAI

AMNESTY INTERNATIONAL ÉFAI

Index AI : EUR 01/003/01

DOCUMENT PUBLIC

Londres, septembre 2001

 

BIÉLORUSSIE  -   Préoccupations d’Amnesty International en Europe

Janvier - juin 2001

 

« Disparitions » présumées : le cas de Dmitri Zavadski

En mai, Amnesty International a appris que plusieurs membres et ex-membres de l’unité d’élite de la police Almaz étaient détenus et inculpés à la suite de l’enlèvement et du meurtre présumé de Dmitri Zavadski, un caméraman travaillant pour l’ORT (une chaîne de télévision publique russe). Valeri Ignatovitch, Maxime Malik, Alexeï Gouz et Sergueï Savouchkine devaient être jugés en juillet par le tribunal régional de Minsk. Ce procès devait se tenir à huis clos, contrairement à ce que prévoient diverses normes internationales relatives aux droits humains.

Dmitri Zavadski a été porté disparu dans la matinée du 7 juillet 2000 après s’être rendu en voiture à un aéroport de Minsk pour y accueillir un confrère journaliste, Pavel Cheremet, qui arrivait par avion de Moscou (voir EUR 01/001/2001).  La voiture de Dmitri Zavadski a été retrouvée stationnée à l’aéroport mais on n’a plus revu, depuis cette date, ce caméraman âgé de vingt-sept ans. Son épouse Svetlana a indiqué en mars à une délégation d’Amnesty International qu’ellemême et leur jeune fils étaient sans nouvelles de lui depuis sa « disparition ».  L’enquête sur la « disparition » présumée de Dmitri Zavadski ainsi que celle qui concerne des chefs de file de l’opposition portés disparus, Iouri Zakharenko, Viktor Gontchar et son compagnon Anatoli Krassovski, ont suscité une vive controverse, de nombreuses voix s’élevant dans le pays même et à l’étranger pour critiquer leur manque de transparence et d’impartialité (voir EUR 49/002/2001).

La troïka parlementaire, composée de membres du Parlement européen et des Assemblées parlementaires du Conseil de l’Europe et de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui s’est rendue en Biélorussie du 5 au 7 mars, a également exprimé sa préoccupation persistante concernant la situation des droits humains dans ce pays et s’est en particulier inquiétée du faible avancement des enquêtes sur les « disparitions » de plusieurs opposants politiques, Zakharenko, Gontchar, Krassovski, et du journaliste Zavadski1.  Vers la fin de la période couverte par le présent rapport, au mois de juin, deux fonctionnaires du Bureau du procureur général, Dmitri Petrouchkevitch et Oleg Sloutchek, désignés pour enquêter sur ces « disparitions » présumées, se sont, semble-t-il, enfuis aux États-Unis, où ils ont obtenu l’asile. Ces deux personnes ont affirmé que des hommes de confiance faisant partie de l’entourage proche du président Loukachenko avaient fait appel à l’unité d’élite de la police Almaz pour éliminer certains membres de l’opposition biélorusse. Les personnes portées disparues auraient été enterrées dans un cimetière, situé dans le nord de la capitale, Minsk.

Iouri Bandajevski, prisonnier d’opinion

Le 18 juin, le professeur Iouri Bandajevski, âgé de quarante-trois ans, a été condamné par la chambre militaire de la Cour suprême de Biélorussie à Gomel à une peine de huit ans d’emprisonnement dans une colonie pénitentiaire à régime strict assortie d’une confiscation de ses biens. Iouri Bandajevski était accusé d’avoir reçu des pots-de-vin d’étudiants qui cherchaient à être admis à l’Institut médical de Gomel dont il a été le recteur (voir EUR 49/008/2001). Amnesty International estime que Iouri Bandajevski a été condamné pour avoir ouvertement critiqué la réaction des autorités biélorusses face à la catastrophe nucléaire de Tchernobyl en 1986 et elle le considère comme un prisonnier d’opinion.  Les observateurs nationaux et internationaux qui ont assisté à ce procès ont estimé que cette condamnation ne reposait pas sur des fondements solides et que les droits de l’accusé à un procès équitable avaient été violés à plusieurs reprises. Le groupe de conseil et d’observation de l’OSCE, qui a suivi tout le procès, a relevé huit infractions au Code pénal biélorusse durant l’enquête préliminaire et le procès.  Les autorités n’ont notamment pas respecté les droits de la défense, puisque Iouri Bandajevski n’a pas pu consulter un avocat tout au long de sa détention provisoire qui a duré six mois. Au moment de la rédaction du présent rapport, Iouri Bandajevski était détenu à la prison UZ 15/1, à Minsk, dans un dortoir où 150 prisonniers environ dorment dans des lits superposés sur trois niveaux.

Libération du prisonnier d’opinion Vladimir Koudinov

Le prisonnier d’opinion Vladimir Koudinov a été libéré le 5 février à la suite d’une amnistie après avoir passé quatre ans derrière les barreaux. Il avait été condamné en août 1997 à une peine de sept ans d’emprisonnement parce qu’il était accusé d’avoir soudoyé un policier (voir EUR 49/014/00). En tant que député au 13e Soviet suprême (Parlement biélorusse), Vladimir Koudinov avait joué un rôle actif dans la mise en accusation du président Alexandre Loukachenko après la dissolution du Parlement par ce dernier en novembre 1996. Amnesty International estime que Vladimir Koudinov et d’autres députés au 13e Soviet suprême n’ont été arrêtés qu’en raison de leur opposition politique au régime. Au début de mars, Vladimir Koudinov a pu transmettre à une délégation d’Amnesty International qui se trouvait à Minsk des informations sur les conditions choquantes de sa détention et sur l’attitude hostile des autorités pénitentiaires à son égard, qui serait due, selon lui, à ses positions politiques.

Défenseurs des droits humains

Une délégation d’Amnesty International a passé douze jours en Biélorussie à la fin de février et au début de mars. Elle s’est rendue à Brest, Gomel, Minsk, Moghilev et Vitebsk et s’est entretenue avec de nombreux défenseurs de droits humains. Le rapport publié à l’issue de cette mission, Biélorussie : les défenseurs des droits humains sous les projecteurs de l’État (index AI : EUR 49/005/2001), souligne les obstacles considérables auxquels se heurtent les personnes engagées dans la défense des droits humains en Biélorussie.

Valeri Chtchoukine, défenseur des droits humains et prisonnier d’opinion

Le 12 juin, Valeri Chtchoukine, âgé de soixante ans, défenseur chevronné des droits humains, a commencé à purger une peine de trois mois d’emprisonnement.  Ce journaliste indépendant, membre du Parlement biélorusse dissous, avait été condamné le 17 avril par le tribunal municipal de Minsk pour son rôle dans l’organisation de la Marche pour la liberté, tenue en octobre 1999 à l’initiative des partisans de la démocratie, et pour « houliganisme » en raison de faits survenus le 16 janvier, lorsque la police l’a empêché d’intervenir lors d’une conférence de presse donnée à Minsk par le ministre de l’Intérieur, Vladimir Naoumov.  Une altercation aurait alors éclaté entre des militants des droits humains et les membres du service d’ordre qui surveillaient cette réunion et qui ont violemment projeté à terre Valeri Chtchoukine. Au début du mois de juillet, Valeri Chtchoukine a été transféré à la prison de Jodino où les surveillants auraient rasé de force sa longue barbe avec un rasoir émoussé.

Nouvelles restrictions juridiques aux droits à la liberté d’association et de réunion

Amnesty International a exprimé son inquiétude à la suite de l’adoption de deux décrets présidentiels visant apparemment à entraver le déroulement de manifestations pacifiques de l’opposition biélorusse dans la période précédant l’élection présidentielle, prévue pour le 9 septembre. Le président Alexandre Loukachenko a pris le 14 mars un décret intitulé « Plusieurs mesures visant à

améliorer la distribution et l’utilisation de l’aide humanitaire étrangère » qui interdit de fait l’utilisation de fonds provenant de l’étranger pour soutenir le combat pour la démocratie. Aux termes de ce décret, l’aide financière et matérielle étrangère accordée aux organisations non gouvernementales (ONG) et aux partis politiques ne doit pas servir à financer toute une série d’activités, notamment l’organisation et le contrôle des élections ainsi que diverses actions de protestation.  Les ONG encourent des amendes et risquent de se voir interdire toute activité si elles ne respectent pas cette nouvelle législation à portée très générale.

 

Le 11 mai, un autre décret présidentiel intitulé « Á propos de certaines mesures visant à améliorer les procédures de tenue de réunions, rencontres, défilés dans la rue, manifestations et autres actions de masse et rassemblements » est également entré en vigueur. Ce texte impose de nouvelles restrictions à la liberté de réunion. Aux termes de ce décret, tout organisme qui est à l’origine d’une manifestation publique autorisée sera tenu pour entièrement responsable de cet événement et risque une amende ou l’annulation de son enregistrement si les autorités estiment qu’il y eu atteinte à l’ordre public.

 

Détention arbitraire de militants des droits humains appartenant à l’organisation Zubr (Bison)

Au cours de la période couverte par le présent rapport, un nombre important de militants de Zubr (Bison), une organisation récemment créée par de jeunes militants de la démocratie et des droits humains, ont purgé des peines de prison après avoir été arrêtés à la suite de manifestations pacifiques. Le 5 mars, trois militants de Zubr ont été arrêtés devant le siège de la présidence, au centre de Minsk, pour avoir protesté contre la vague de « disparitions » présumées survenues en Biélorussie. Un des ces trois jeunes gens, Anton Telejnikov, a été condamné à une peine de quinze jours d’emprisonnement. Amnesty International a estimé que c’était un prisonnier d’opinion.

Le 5 avril, au petit matin, quatre militants de Zubr, Alexeï Chidlovski, Timofeï Drantchouk, Dmitri Drapotchko et Ales Apranichtch, ont été arrêtés à Minsk parce qu’ils auraient écrit sur le mur d’une usine au moyen d’une bombe de peinture : « Où est Gontchar ? Où est Zavadski ? Où est Zakharenko ? ». Libérés le jour suivant, dans la soirée, ils n’auraient pas eu la possibilité de contacter un avocat dans de brefs délais. Ces jeunes gens ont été inculpés d’infractions pénales et devraient être jugés au cours du deuxième semestre 2001.  En février 1998, Alexeï Chidlovski avait été condamné à une peine de dix-huit mois de prison pour une infraction similaire et il avait été adopté par Amnesty International comme prisonnier d’opinion.

Ce même 5 avril, dans la ville de Baranovitchi, au sud-ouest de Minsk, un autre jeune militant de Zubr, Nikita Sassim, aurait été arrêté par deux policiers pour avoir écrit le mot « Zubr » sur les murs. Il a été maintenu en détention jusqu’au lendemain. Selon l’organisation de défense des droits humains Printemps 96, les policiers ont frappé ce jeune homme alors qu’il était menotté et lui ont versé de la peinture sur la tête. Durant son interrogatoire, le 6 avril, les policiers l’auraient plaqué violemment contre le sol et auraient menacé de le torturer à l’électricité.  Il a été libéré quelques heures plus tard, lorsque sa mère est allée le chercher au centre de police du district Moskovski, où il était détenu.  Le 21 avril, 33 jeunes gens ont été arrêtés lors d’une manifestation pacifique contre le président, organisée au parc Gorki, à Minsk. Plusieurs de ces protestataires ont affirmé que les policiers avaient eu recours à une force excessive lors de l’interpellation ou les avaient maltraités par ailleurs. Quatorze de ces 33 jeunes gens ont été incarcérés au centre de détention d’Okrestina, à Minsk, jusqu’au 25 avril, date à laquelle ils ont été traduits en justice et condamnés à une peine de trois jours d’emprisonnement. Comme ils avaient déjà passé quatre jours dans le centre de détention, ils ont été libérés. Deux d’entre eux, Sergueï Pianoukh et Valeri Jerbine, ont été condamnés, au mois de mai, à une peine de dix jours d’emprisonnement. Amnesty International les a considéré comme des prisonniers d’opinion.

Au cours de la période couverte par le présent rapport, Amnesty International a reçu des informations selon lesquelles un nombre important d’autres personnes militant en faveur de la démocratie et des droits humains ont été arbitrairement privées de leur liberté. Lors de la manifestation pacifique dite du Jour de la liberté, le 25 mars, quelque quinze personnes ont été arrêtées à Minsk pour avoir organisé une manifestation non autorisée ou y avoir participé. La plupart des personnes arrêtées ont échappé à l’emprisonnement en payant une amende mais plusieurs autres, parmi lesquelles un jeune homme de vingt ans, Dmitri Choubarenka, ainsi que deux membres de l’association Printemps 96, Ales Bialytski et Vincuk Viachorka, ont par la suite été condamnées à des peines allant de dix à quinze jours de prison. Amnesty International les considère comme des prisonniers d’opinion.

Le 18 mai au matin, des policiers auraient appréhendé près de trente personnes qui manifestaient devant le Palais de la République, à Minsk. Selon les informations reçues par Amnesty International, ces manifestants, membres du parti conservateur chrétien biélorusse, arboraient des affiches représentant de présumés « disparus ». D’autres manifestants portaient des pancartes et distribuaient des tracts contre le projet d’union entre la Biélorussie et la Russie.  Des policiers en civil auraient dispersé par la force ces manifestants pacifiques et auraient maltraité plusieurs d’entre eux, dont un homme, Vladimir Ioukho, qui a eu un bras cassé. Un autre manifestant a eu de graves troubles cardiaques. Tout au long de cette journée et jusqu’au soir, des policiers en civil auraient arrêté d’autres manifestants pacifiques, appartenant au Jeune Front, mouvement de jeunesse du Front populaire biélorusse (BNF), et au parti de l’Union civique.  Ce jour-là, les membres de ces deux mouvements ont fait la haie à plusieurs reprises le long de la perspective Frantsysk Skaryna, principale avenue de Minsk, en brandissant des portraits des personnalités de l’opposition portées disparues.  Les policiers en civil auraient interpellé une bonne dizaine de personnes dont sept jeunes gens ; l’un de ces derniers aurait été roué de coups.

Harcèlement présumé de proches de membres de l’opposition

Les fils de deux opposants politiques du président Alexandre Loukachenko ont été arrêtés au cours de la période couverte par le présent rapport. Amnesty International craint que les autorités biélorusses n’aient délibérément visé ces deux personnes afin de faire pression sur leurs familles. Alexandre Tchiguir, fils de l’ancien prisonnier d’opinion Mikhaïl Tchiguir, a été arrêté le 10 février ; il lui était reproché d’avoir vendu des pièces de véhicule à moteur volées. Selon les membres de l’opposition biélorusse, cette arrestation avait pour but d’exercer une contrainte sur Mikhaïl Tchiguir qui prévoyait de se présenter à l’élection présidentielle de 2001. Depuis son arrestation, le jeune homme a été placé en détention provisoire ; il partagerait sa cellule avec Sergueï Vinnikov, âgé de vingt-six ans et fils de l’ancienne présidente de la banque nationale biélorusse, Tamara Vinnikova, qui avait trouvé refuge en Grande-Bretagne en avril 1999 alors que le KGB la maintenait en résidence surveillée. Son fils aurait été inculpé de détention de stupéfiants le 21 mars et reste détenu à Minsk dans l’attente de son procès.

Liberté des médias

Amnesty International a continué de recevoir des informations concernant le harcèlement et l’intimidation de journalistes indépendants biélorusses. Les bureaux de plusieurs journaux indépendants ont été la cible des agents des impôts. Cela a été le cas du Borisovskie Novosti, le 16 mars, et de Nacha Svaboda, le 19 juin.  La police a également fait une descente le 20 juin au domicile de Sergueï Anisko, journaliste travaillant au Den et au Belaruski Tchas. Des vendeurs de journaux distribuant la presse indépendante se seraient vu confisquer certains titres. Au cours des six premiers mois de 2001, le projet de loi sur la sécurité de l’information a suscité des craintes particulières. En effet, si ce projet était adopté en l’état, il conférerait aux autorités biélorusses toute une série de pouvoirs leur permettant d’avoir recours à la censure et d’entraver la liberté des médias.

 


 

La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat

international, 1 Easton Street, Londres WC1X 0DW, Royaume-Uni, sous le titre Concerns in Europe:

January - June 2001. BELARUS. Seule la version anglaise fait foi.

La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par

LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D’AMNESTY INTERNATIONAL – ÉFAI – janvier 2002.

Vous trouverez les documents en français sur LotusNotes, rubrique ÉFAI – IS documents.  Vous pouvez également consulter le site Internet des ÉFAI : www.efai.org Pour toute information complémentaire, veuillez vous adresser à :