INTERVIEW FILMÉE
de
Youri et Galina BANDAZHEVSKY
Gomel, 5 Avril 2000
Réalisation de:
Wladimir Tchertkoff
6945 ORIGLIO
Suisse
Tel. 004191.9453546
e-mail: eandreoli@vtx.ch
Copie VHS (sans droits)
Script - Sous-titres
W.T. - Regrettez-vous votre choix d'alors? A cause de ce problème familial. //
Galina. - De quel problème parlez-vous ? Quand nous sommes venus habiter ici ? //
W.T. - Non. Quand vous avez fait votre découverte et vous avez freiné. //
G. - Je n'ai pas freiné. Nous en avons parlé //
un jour et une nuit entiers pour décider. //
Longtemps. D'abord à la maison. Puis, pour ne pas déranger les enfants, //
nous sommes sortis. Nous nous disputions très fort. //
WT. - Dehors?
G. - Dehors, sur le banc, jusqu'aux larmes. //
Youri. - En général toutes nos décisions scientifiques //
étaient prises orageusement. //
Sans doute parce qu'elle est une femme, //
elle pressentait que cela ferait des ennuis pour la famille. //
Galina. - Il a décidé de participer à une émission, et m'a dit : //
"Je dirai tout. Comment nous avons découvert //
ces altérations: la pathologie cardiaque //
causée par la radioactivité". //
J'ai dit : " as-tu bien réfléchi ?" - "Oui, j'ai réfléchi." //
Et quand cette émission est passée à la télévision, //
je suis rentrée à la maison et j'ai pleuré //.
La première fois qu'on l'a montré au Conseil Scientifique. //
Ils ont tous applaudi : "Yury Ivanovitch, vous avez réussi !..." //
Et moi je suis rentrée en larmes. De nouveau la dispute. //
Et j'ai dit: "Je pense qu'après ce film on te mettra les menottes." //
Et lui : "qu'est-ce que tu racontes ? !" //
A ce moment le réalisateur a téléphoné, il s'appelle Subat: //
"Galina Serguéievna, félicitations, le film a eu un grand succès. //
Yury I. a tout montré, et si clairement, //
ce film aura une grande résonance dans la population!" //
Et moi je lui réponds: "vous savez, je me demande... //
"Pourquoi n'êtes-vous pas contente ?". //
"… Si on lui met des menottes, Galina Serguéievna restera seule". //
Et lui : "Mais que dites-vous ? Nous ne vous abandonnerons jamais! //
Et puis ça n'arrivera jamais, vous êtes une femme et vous vous faites des idées." //
J'ai répondu : "Bien, le temps nous le dira". //
Et quand c'est arrivé, et je suis restée vraiment seule... //
Seule... //
- Il y avait tous ces gens: les élèves, //
dont voici toutes les thèses. //
Les collaborateurs de l'Institut... - //
... Et quand je suis restée seule, je suis entrée dans notre appartement vide, //
je ne savais pas par où commencer. Où aller ? Chez qui ? //
Ma première idée, qui sait pourquoi: je dois aller au Ministère de la Santé. //
Chez mon ministre... au Ministère, pour y trouver conseil: //
que dois-je faire ? //
Au Ministère on m'a dit... //
"Vous êtes venue trop tôt. Et puis, qu'avez-vous à dire ?". //
Dans l'antichambre du ministre. //
"Je vous dis simplement: Bandazhevsky //
n'a pas trempé dans la boue sa blouse blanche. //
Ne le jugez pas trop vite, ensuite vous pourriez le regretter." //
Réponse: "Vous êtes venue trop tôt pour en parler. Trop tôt". //
Après quoi Subat, le réalisateur, me téléphone et me dit: //
"J'ai appris ce qui s'est passé. //
Mais je sais que votre téléphone est contrôlé... //
Je ne peux vous aider en aucune façon". //
W.T. - Simplement?... Il a dit ça d'avance, pour parer à toute éventualité. //
Galina. - Oui... C'est à dire qu'il s'est souvenu de notre conversation... //
et a dit "je ne peux pas vous aider. //
Si vous voulez, je peux téléphoner à une personne de la télévision russe. //
Je lui téléphonerai, je lui donnerai votre numéro, //
le reste vous regarde. Décidez ce que vous lui direz, //
comment vous lui présenterez votre situation, //
vous allez pleurer ou défendre quelque chose, //
mais moi... ne me mêlez pas à cette affaire".//
W.T. - Au bout de combien de temps avez-vous pu voir votre mari ? //
Après être rentrée dans la maison vide. //
G. - Je l'ai vu la première fois... au bout de 50 jours. //
Après l'arrestation... Cinquante. //
C'était très officiel, je l'ai vu quand il était déjà hospitalisé. //
Le juge d'instruction avait autorisé officiellement l'entrevue, //
cinquante jours après l'arrestation. //
W. - Vous avez frappé à beaucoup de portes?
G. - J'ai frappé à beaucoup d'adresses ... //
L'une des premières c'était la radio de Gomel. //
Ils m'ont dit : "Il vaut mieux que vous ne veniez pas nous voir. //
Nous ne voulons rien savoir. //
Vous nous compromettez: nous avons tous besoin de travailler". //
Après, je suis allée au Ministère de la Santé...//
J'ai tout essayé.
Youri. - Elle est allée partout. //
G. - Partout. Toutes les portes étaient fermées.
Et un seul mot, "le temps le dira". //
Un grand merci à cet homme, // (indique le Professeur Nesterenko)
à cet homme, qui le premier n'a pas eu peur, //
alors que plus que quiconque il devait avoir peur dans cette situation, //
il fut le premier à me tendre la main. Il fut mon soutien, tout le temps. //
Quand j'avais besoin d'un conseil, j'allais à Minsk chez lui. //
Il m'a aussi aidé économiquement: //
"Galina, s'il te plaît, achète quelque chose pour les enfants. //
Ils me font de la peine". //
Il sortait l'argent de sa poche: "Prends (s'il te plaît) et achète quelque chose". //
Quant à tous les autres, vous savez... //
Je ne leur demandais pas de l'aide matérielle: //
"aidez-moi à lui envoyer un colis en prison". //
Je voulais simplement que les gens croient en lui. //
Que lui croient ces mêmes élèves avec lesquels ... //
Il a travaillé pendant dix ans sacrifiant sa famille. //
Pendant dix ans, de 7 heures du matin jusqu'à minuit. //
De 7 heures du matin jusqu'à minuit, il a fait un travail énorme. //
Le jours fériés? Je lui proposais, "allons quelque part ?" //
Non, même pas les jours fériés, ni les jours de fête. //
Toujours : travail, travail, travail, travail... Et voilà le résultat du travail. //
Quand nous avons découvert qu'il y avait une corrélation //
entre les atteintes cardiaques et l'incorporation du césium radioactif, //
nous avons vécu un conflit familial, un conflit violent, //
parce que je refusais d'accepter ces altérations. //
Il s'agissait d'une découverte. Nous découvrions quelque chose de nouveau, //
quelque chose qui n'était pas connu auparavant. //
Et lui m'a dit "Non, c'est vraiment comme cela." //
"Et nous allons rédiger ensemble ta thèse," //
- car il est directeur de thèses - //
"justement sur cette corrélation". //
W. - Qu'est-ce que vous refusiez d'accepter? //
G. - Vous savez, je n'étais pas d'accord... j'avais peur. //
J'avais peur de cette découverte.
W. - Pourquoi ? //
G. - D'abord sans doute parce que c'était nouveau. //
W. - Mais c'est un succès pour un scientifique! //
G. - Oui, c'est un succès, mais chez nous //
on n'a jamais fait une telle publicité aux radiations. //
Youry. - On n'en parlait pas.
G. - Oui. //
On ne parlait pas des effets de la radioactivité chez les enfants.
Les commissions, les contrôles, - je le vois chez moi en pédiatrie, - //
viennent des différents pays et demandent: //
"y a-t-il chez vous une pathologie des radiations ?" //
Tout le monde répond toujours : "oui, la glande thyroïde". //
W. - C'est tout ?
G. - C'est tout. //
Quand je suis arrivée ici, à Gomel, //
je me suis mise aussitôt à ausculter des enfants, //
des grands enfants, et ce qui m'a aussitôt frappé, //
c'est la très grande fréquence des arythmies chez ces enfants. //
Des arythmies tellement sévères //
que certains enfants devaient recourir //
à une stabilisation médicamenteuse du rythme. //
Aller à Minsk pour corriger ces troubles du rythme par des traitements. //
Ce qui autrefois était réservé aux adultes, //
à présent ce sont nos enfants qui en avaient besoin. //
Lorsque à Grodno, un enfant présentait une altération du rythme, //
c'était considéré comme quelque chose d'extraordinaire... //
comme un phénomène exceptionnellement grave, //
qui nécessitait immédiatement une correction, un traitement etc. //
Ici à Gomel, cette pathologie somatique exceptionnellement grave //
on la rencontrait de plus en plus souvent. //
Je rentrais du travail avec Yury I. et nous nous mettions à en discuter. //
Il a dit : examinons les petits enfants en bonne santé //
ceux qui vont au jardin d'enfants. //
Nous avons commencé à examiner les nourrissons des crèches de Gomel, //
et nous avons enregistré leurs électrocardiogrammes. //
Puis Zhlobin, Svetlogorsk, //
la ville de Vetka, et nous avons découvert //
que les enfants sains, en bonne santé, //
- plus de 60%, - //
présentent des altérations du tracé de l'électrocardiogramme. //
Les électrocardiogrammes enregistrent des pathologies. //
Et quand nous avons inscrit à côté de ces données //
les quantités de radiations gamma mesurées dans l'organisme, //
c'est à dire émises par le césium-137, //
et que nous les avons comparées avec ces électrocardiogrammes, //
nous avons constaté cette constance remarquable: //
les enfants ayant une concentration élevée de césium, //
- et nous considérions déjà comme élevé un taux supérieur à 20 Bq/kg, - //
présentent une altération de la conductivité, //
une altération de la conductivité cardiaque, //
qui se manifeste par des blocs: //
le bloc partiel de la branche droite du faisceau de His, //
des blocs atrio-ventriculaires. //
Chez certains enfants les troubles de la conductivité //
pouvaient se combiner //
avec des troubles de la repolarisation du muscle cardiaque. //
En fait, plus la concentration en césium était élevée, //
plus graves ou complexes étaient //
ces altérations relevées par les électrocardiogrammes. //
W. - Et vous avez donc prévu le danger politique qu'entraînerait cette révélation ? //
G. - Oui, vous savez, d'abord j'ai eu peur... Oui ! J'ai eu peur pour ma famille. //
Je n'avais pas peur pour moi. Car le directeur de recherche, c'était lui. //
Je lui ai dit : "écoute, et si tout à coup quelque chose n'était pas exact? //
si nous nous nous étions trompés quelque part? //
Car nous présentons notre découverte au monde entier". //
Il a répondu : "nous ne pouvons pas nous tromper, //
car nous nous basons sur une telle quantité d'électrocardiogrammes..." //
Y. - Il faut dire que Galina S. n'était pas la seule à étudier le coeur. //
Il y avait toute une série de thèses et de travaux //
d'autres chercheurs de ma Faculté à l'Institut, //
et, comme je l'ai indiqué dans mon dernier livre, //
les examens anatomo-patholoques et la recherche animale. //
W. - Pour vous, c'était certain ?
Y. - Oui, une certitude scientifique //
basée sur tous ces travaux. //
Mais, pour la première fois, en ce qui concerne le coeur, //
- la pathologie liée à l'incorporation du césium radioactif, - //
c'est avec elle que nous l'avons étudié, sur la base de ses résultats //
de l'examen des enfants. //
Nous prenions par exemple une pile d'électrocardiogrammes... //
- voilà comment ils se présentent - //
et nous inscrivions sur chacun d'entre eux //
la concentration de radionucléides contenus dans l'organisme... //
Y. (inquiet) - On sonne... G. - Ce n'est rien, ce sont les enfants.)//
Comme cela, vous voyez ? 29 Bq/kg, 34... //
Et ensuite, nous les avons classés en fonction des paramètres,//(il montre le graphique)
ce qui a donné ce résultat. //
Ce graphique traduit les résultats actuels... //
Nous l'avons réalisé à partir des données collectées dans toute la Biélorussie. //
Il ne s'agit pas seulement de Gomel, de Grodno, //
il y a aussi Minsk, des lieux différents, un échantillonnage énorme. //
Nous avons pu montrer qu'entre 0 et 5 Becquerels par kilo de poids //
- plus ou moins, en tenant compte des marges d'erreur de l'instrument - //
un peu plus de 80% des enfants //
ne présentent aucune altération de l'électrocardiogramme. //
Quand il n'y a pas de césium, nous pouvons garantir à 85% //
une évolution plus ou moins normale, une croissance normale. //
Mais si le césium s'accumule, le pourcentage d'enfants sains //
diminue proportionnellement suivant ces paramètres... //
d'enfants sains. //
Et si l'on mesure plus de 70 Becquerels par kilo de poids //
de cet élément radioactif, //
on peut prévoir seulement 10% de coeurs plus ou moins normaux. //
W. - C'est une corrélation constante ?
Y. - Oui, basée sur toutes nos données. //
Ce n'est pas un hasard si je dis qu'il s'agit de plus qu'une dépendance, //
c'est presque une loi scientifique. //
Une dépendance est un rapprochement entre plusieurs tendances. //
Dépendance proportionnelle entre la dose et les altérations. //
Cela a été montré auparavant. Alors que maintenant, //
quelle que soit la donnée que j'introduis, je vois //
qu'entre cette quantité et cette autre, //
- nous pouvons prendre n'importe quel groupe //
des altérations que nous observons, - //
nous les introduisons ici, et nous voyons que c'est conforme à ce paramètre. //
Ceci est déjà un élément d'une loi, //
vu la constance des symptômes dans cette corrélation. //
J'aimerais ajouter ceci : //
la même chose peut être observée //
en examinant les systèmes métaboliques, //
- activités enzymatiques, - non seulement dans le coeur, //
mais aussi dans le cerveau, et dans d'autres organes. //
Mais malheureusement... je n'ai pas... //
nous ne possédons pas en ce moment les moyens pour démontrer cela, //
nous ne pouvons pas...//
W. - Dans d'autres organes ?
Y. - Oui ! Nous n'avons pas les instruments... //
Cela demande un travail énorme. Je souligne que ce n'est qu'un début, //
bien que j'aie ici les thèses de mes élèves, //
ces deux piles, fruits de leurs recherches, //
pas toutes, mai la plus grande partie. //
Elles contiennent des données sur le coeur, sur d'autres organes internes...//
G. - Par rapport au césium.//
Y. - Tout ce que nous avons pu réaliser durant ces années //
est contenu dans ces thèses. Elles ont une valeur énorme pour moi. //
Même plus que les livres, parce que chaque thèse... //
repose sur du concret, un matériel authentique. //
Vérifié. C'est d'un très haut niveau.//
W. - Vous êtes donc arrivés à étudier aussi d'autres organes ? //
Y. - Oui !
W. - Vous parlez du coeur. //
Vous dites "malheureusement..."
Y. - Nous ne pouvons pas continuer. //
Cela coûte très cher. //
Par exemple l'étude du système immunitaire. //
Ces études nécessitent des appareils spéciaux, très coûteux. //
Ensuite : l'étude des enzymes... //
celle du système endocrinien, des enzymes du foie, //
des reins, qui peut nécessiter des biopsies. //
Et je ne parle même pas du système nerveux central...//
W. - Ces études ne sont que des ébauches... ?
Y. - Sans aucun doute ! //
Chaque domaine peut ouvrir une immense voie de recherche, //
qui peut livrer l'information au monde. //
Je suis loin de penser... //
- la science est illimitée dans sa recherche: - //
... je suis loin de penser que nous pouvons affirmer avoir tout découvert. //
Cela nous permettrait d'apporter une grande aide à la population. //
Mais en ce qui concerne le coeur, //
vu que la mort cardiaque est très fréquente, //
nous voyons ce qu'il en est vraiment. //
W. - Vous rendiez-vous compte du fait que vous refusiez une vérité scientifique ? //
G. - Oui.
W. - Vous préfériez ne pas la découvrir.. //
G. - Oui... oui...oui.
W. - Pour vous protéger, en quelque sorte. //
Y. - Elle sentait cela
W. - Comment cela s'est-il terminé ? //
G. - Je lui ai dit "il faut laisser tomber tout ça". //
Et lui m'a dit "alors tu n'es pas un médecin. /
Et si tu considères que tu n'es pas un médecin, //
tu peux mettre ton diplôme sur la table, //
et sortir pour balayer la cour". ... //
Et vous savez, cela m'a fait très mal d'entendre cela, //
car j'ai tellement rêvé de devenir médecin ! //
Il m'a fallu trois ans avant de m'inscrire à l'institut de médecine. //
C'était difficile. //
Et quand il a dit ça, j'ai pensé "non", //
"alors il faut faire quelque chose". //
Et ce travail est devenu ma thèse de doctorat. //
D'autres problèmes ont commencé. //
Ma thèse était pratiquement rédigée. //
Elle était déjà reliée, et nous avons commencé à la présenter //
à nos scientifiques de Belarus. //
Au Conseil d'admission des thèses de Grodno. //
A Minsk, il y a aussi ces Conseils. Savez-vous ce qu'ils nous ont dit ? //
"Ce travail n'est pas mauvais... //
mais changez un peu le titre. //
Il ne faut pas écrire: en corrélation avec le césium radioactif. //
Ecrivez simplement Etat fonctionnel //
du système cardio-vasculaire des enfants,//
qui vivent dans les territoires contaminés par des radionucléides." //
Youri. - "Et ne mentionnez pas les doses".
Galina. - "Eliminez les doses, //
et écrivez simplement que ces petits enfant présentent des altérations. //
Si vous la soumettez sous la forme actuelle, //
personne ne peut vous garantir que vous pourrez soutenir votre thèse." //
W. - Sans explications ?
G.- Oui. Sans explications.
Youri. - Je n'exclus pas que ce comportement dérive chez nous //
de la volonté de ne pas révéler... //
- car on écrit actuellement beaucoup de travaux de biologie médicale, - //
de ne pas révéler justement ça. Ce problème. //
Ne pas laisser sortir cette publication, surtout maintenant, //
en dehors de la République.//
Je suis opposé aux textes purement descriptifs. //
Quand on décrit seulement, ce n'est pas de la science. //
C'est un rapport statistique, du journalisme. //
La science c'est quand on établit des corrélations. //
Quels que soient les paramètres. On doit suivre une logique.//
W. - Rechercher les causes ?
Y. - Un lien de cause à effet, //
vous avez raison. C'est là, la découverte! //
On peut recenser des paramètres, //
mais leur combinaison et l'établissement de leur corrélation //
voilà qui est de la science. //
Elle est d'autant plus valable, //
qu'il y a d'avantage de corrélations.//
W. - Ils veulent cacher Tchernobyl?
Y. - Je pense que oui, certainement. //
Galina. - J'ai été triste pour notre pays. //
Quand nous avons présenté ce travail... //
j'étais intervenue à un congrès scientifique auquel assistaient des Japonais. //
Quand ils ont entendu mon exposé, ils se sont immédiatement intéressés. //
Ils sont venus voir Yury I. et lui ont demandé: //
"pourriez-vous répondre à quelques questions, 5 minutes d'interview, //
et nous montrer vos graphiques qui illustrent ce texte ?". //
Ils ont posé une question très intéressante : //
"Vous montrez qu'il y a des altérations des électrocardiogrammes, //
et en plus, que sur du matériel expérimental //
vous observez la destruction des cellules cardiaques. //
N'êtes-vous pas allé plus loin ? A quel niveau cette cellule dégénère-t-elle? //
au niveau des mitochondries, etc.? //
Ils avaient probablement aussi des recherches en cours, //
ou des hypothèses, et notre travail a servi //
de stimulant pour le développement ultérieur de leur réflexion. //
En tout cas il a suscité un grand intérêt chez ces scientifiques japonais. //
Y.- Ils ont filmé...
W. - Ils ont filmé et interviewé ? //
Y-G. - Oui.
W. - Vous leur avez montré vos documents ?
Y. - Ils ont travaillé avec nous... avec Galina.., dans ma Faculté, //
pendant deux jours. Sans interruption.//
W. - Que faisaient-ils exactement ?
Y.- Ils filmaient sans arrêt. //
Tout le déroulement de l'expérimentation, toute sa logique. //
J'ai considéré que... //
- à l'époque nous avions bien sûr moins de résultats. //
Depuis, grâce à Dieu, nous sommes allés plus loin, //
mais cette logique ils l'ont enregistrée dans tous les détails. //
C'est l'une des principales chaînes scientifiques de la TV japonaise. //
L'émission était annoncée pour un horaire de grande écoute //
sur le thème de Tchernobyl. //
W. - L'émission a eu lieu ?
Y. - Je ne sais pas...//
W. - Vous ont-ils promis une cassette ?
Y. - Personne ne m'a rien promis.//
W. - Vous ne l'avez pas exigé ?
Y. - Je leur ai simplement demandé: //
"on vous a autorisés" ? - "Oui". Ils les ont autorisés de filmer. //
W. - Autorités locales ?
Y. - Oui.
W. - Mais vous personnellement ? //
Vous leur avez livré vos découvertes //
Y. - Je leur ai demandé, mais ils ont répondu non. //
W. - Non quoi ?
Y. - Qu'en ce moment ils ne peuvent pas //
nous donner le matériel, mais que plus tard ils nous l'enverront. //
G. - Ils devaient le monter...
W. - C'était ?...//
Y-G. - En 1996.
Nesterenko. - Le montage continue...//
W. - Quatre ans ! Ils vous ont floué. //
Y. - Comprenez-moi bien: à l'époque, //
il était très important pour moi.. //
- j'en vivais jusqu'au jour de mon arrestation, - //
que les gens le sachent ! Peu importe qui le dira, //
Bandazhevsky, Bandazhevskaia, Sidorov ou Petrov. //
Nos enfants sont en train de mourir !... //
Nous pouvons aussi faire de la statistique. //
Je peux prendre des données, et analyser rétrospectivement //
ce qui s'est passé quelque part, autrefois. //
Et dire "ça nous servira, plus tard". //
Mais notre recherche aujourd'hui est plus importante. //
Elle nous montre comment continuer à vivre aujourd'hui. //
Dès aujourd'hui. Cette science est utile aujourd'hui, //
et peut-être aussi demain... Pour beaucoup d'autres peuples. //
Je n'ai pas voulu jouer è ce jeu. //
J'ai considéré que j'avais affaire à des personnes honnêtes. //
J'étais totalement indifférent à la forme que ça prendrait. //
Nous avons travaillé avec eux du matin au soir pendant deux jours...//
G. - Nous leur avons fait cadeau de notre découverte...//
Y. - Découverte, ou pas découverte...//
G. - C'était une nouveauté, ce que tu leur as montré.//
W. - Vous leur avez aussi donné des documents écrits ? //
G. - Non, ils ont filmé tout ce qu'il a montré.//
W. - Ils n'ont pas emporté des écrits ?
Y. - Non. //
G. - Ils ont filmé des photos...
Y. - Nous leur avons montré des photos. //
A l'époque il n'y avait pas encore de photos comme celles-ci. //
Celles-ci sont déjà des photos très intéressantes, //
que j'ai déjà montrées à des symposiums, au Parlement. //
Ces cavités dans le tissu des reins, ces "glaçons fondus", //
les voici les "glaçons fondus". //
Voilà la structure normale du néphron, qui s'altère déjà. //
C'est une expérimentation, sur le rat. //
Ici, il s'agit du tissu humain, avec un début d'atrophie. //
Cela c'est le coeur d'un enfant, qui présente d'énormes cavités... //
G. - Enfant mort.
Y. - C'est d'un enfant mort... //
On voit ces mêmes hémorragies interstitielles //
dans les espaces intramusculaires chez les adultes.//
W. - On ne devrait pas voir ces espèces de branches ?//
Y. - Bien sûr que non, il s'agit de lacunes !... //
Voilà l'aspect d'un syndrome hémorragique généralisé. //
Troubles de la coagulation sanguine, de l'hémostase. //
Hémorragie dans la couche médullaire
et dans le cortex surrénalien chez l'enfant. //
Et ainsi de suite. Vous voyez encore ces "glaçons fondus". //
Des cas différents. Nous les avons photographiés //
et exposés sur de grands panneaux, à l'Institut. //
Tout cela est illustré en images, //
pour les étudiants, pour qu'ils le voient et le connaissent.//
W. - A-t-on enlevé cela ? L'orientation didactique de l'Institut a été changée.//
Y. - Ils ont changé l'orientation, mais ils n'ont pas tout enlevé. //
Ils n'ont pas tout détruit. ... L'ordre a été donné...//
G. - A propos de l'orientation didactique, //
quand Yury I. était déjà en prison, //
- ici à Gomel, - on a effectué un grand contrôle à l'Institut. //
Ils contrôlaient dans tous les domaines, y compris le domaine scientifique. //
Et la première conclusion de la commission fut que //
"le programme ne correspondait pas au programme d'une Ecole Supérieure". //
Il fallait changer le programme...//
W. - Mais ce programme c'était le vôtre pendant dix ans, non ? - (Y) " Bien sûr".//
G. - Ils ont dit qu'il n'y a eu aucun enseignement scientifique à l'Institut. //
Cela a été dit et souligné. //
Et que manque une thématique de base, bien orientée, globale, //
qui corresponde au niveau d'une Ecole Supérieure. //
Il n'y avait bien sûr personne pour le défendre. //
Et quand je me suis levée, j'ai dit cette phrase: //
"chers collègues, vous êtes présents ici en grand nombre. //
Vous habitez tous dans ces territoires. Vous y vivez. //
Vous avez tous des enfants, vous élevez ces enfants.//
Et vous aurez des petits enfants. //
En quoi donc la thématique de l'Institut ne vous convenait-elle pas, //
alors qu'elle étudiait et indiquait//
comment survivre dans ces conditions ?". //
Ils ont répondu: "Galina Serguiéiévna, vous avez sans doute mal compris... //
mal compris... que la thématique n'est pas satisfaisante. ... //
Simplement... - c'est le nouveau recteur qui a parlé, - //
simplement il faut une approche plus large, //
plus ample, la thématique était trop étroite. //
Je considère quelle n'est pas du niveau d'une Ecole Supérieure." //
Voilà l'explication qui a été donnée. //
"Quant à vos récriminations, aux remarques //
que vous faites par rapport à vos enfants, //
à nos petits enfants... gardez-les pour vous.//
W. - Des récriminations, selon eux ?//
G. - J'ai dit, "je regarde peut-être du côté des enfants, //
parce que je suis pédiatre. En premier lieu je défends l'enfance. //
Ce qui concerne les enfants et l'avenir de notre pays. //
Le premier souci doit être: que laisserez-vous à ces enfants ?". //
Mais chez nous on pense différemment. //
Le thème qu'on finance le mieux... - car notre thème n'a pas été financé...//
W. - Justement, comment avez-vous fait ?
G. - Vous savez comment ? //
Nous nous sommes "enrichis", c'est ce que la police veut fait croire.//
Y. - Il ne faut pas parler de ça.//
G. - Non, qu'on l'enregistre à mon compte. //
Nous nous serions "enrichis", ici à Gomel. //
En quoi ? Le fait que nous soyons venus d'une zone propre ? //
Que nous ayons amené ici la famille ? //
Le fait que l'état nous a donné cet appartement plus ou moins suffisant ? //
Où est notre richesse ? //
Le fait que nous souffrons de maladies chroniques ? //
G. - Opération de la thyroïde.
W. - Vous-même ?
G. - Oui.//
Et une autre opération, également pour une tumeur. //
Gynécologie. //
Voilà toute la richesse que nous avons accumulé en dix ans ! //
D'autres disaient comme ça : "Il faut obtenir une bonne bourse, //
choisir un bon thème, qui sera financé, même s'il est nul. //
Mais comme c'est bien payé nous allons y travailler." //
Voilà l'orientation actuelle de notre Institut : de bons financements. //
Le nouveau recteur - je ne veux en dire aucun mal, //
c'est peut-être un très brave homme, - mais il dit : //
"nous allons créer maintenant une banque de services... //
une banque de données... //
nous les mettrons dans l'ordinateur, et elles pourront servir à quelqu'un". //
Je dis : "comment cela ?". //
"Eh bien, Galina S., vous irez examiner une population d'enfants". //
Je dis : "J'irai bien volontiers, la région de Vetka nous est assignée. //
J'irai, mais d'abord, donnez-moi les appareils pour les examiner. //
Je n'ai rien. Je n'ai pas d'ordinateur, //
pas même de papier pour les électrocardiogrammes." //
"Eh bien, vous trouverez peut-être quelques commanditaires,//
et sinon, simplement à l'oreille : vous écouterez les enfants". //
Mais c'est justement ainsi que nous travaillons, ici. //
Nous n'avons pour travailler que nos mains et le stéthoscope. //
Nous ne nous étions pas concertés avec le Prof. Nesterenko, //
quand nous avons examiné la même région placée sous contrôle rigoureux. .... //
Lui, est allé mesurer le césium dans l'école de Svétilovitchi, //
et nous, nous sommes allés ausculter les enfants. //
Mais à cause du manque de papier pour les électrocardiogrammes, //
nous les avons sélectionnés: nous écoutons l'enfant, //
quand le coeur est mauvais à l'oreille, s'il y a des bruits, nous le notons. //
Quand ça va plus ou moins bien, nous ne le notons pas. //
Et quand nous avons reporté sur nos fiches les doses du Professeur Nesterenko, //
il est apparu que nous avons choisi des enfants avec des doses très élevées. //
Ceux qui en avaient peu étaient écartés, //
et les doses importantes se sont inscrites sur ces électrocardiogrammes: //
30 électrocardiogrammes que nous avons enregistrés.//
Et maintenant nous convoquons ces enfants pour un examen médical. //
Ce qui est très bien, étant donné que la pathologie cardiaque, //
- je le répète, - domine le tableau clinique. //
Le coeur des enfants est malade : il est sourd, //
les tons du coeur ne sont pas distincts, //
on entend des bruits, ces fortes doses, //
les altérations... Que pouvons nous faire ? //
Constater et diagnostiquer : cardiopathie fonctionnelle. //
Nous définissons encore ces altérations comme fonctionnelles, //
mais comment aider l'enfant pour qu'elles ne deviennent pas organiques? //
Ce problème n'inquiète personne. //
FIN