wladimir tchertkoff

Lettre de Wladimir Tchertkoff

28. 02. 2005

 


 

Bonjour tout le monde, Galina m'a dit qu'au lendemain du refus de la liberté conditionnelle le 31 janvier, des fonctionnaires de la colonie se sont présentés et on demandé que Youri leur signe une déclaration comme quoi il ne vivait pas seul.  Galina pense qu'ils l'ont fait surtout pour se couvrir eux-mêmes, au cas où il lui arrivait quelque chose. Youri est gardien et doit faire une ronde de contrôle de la bonne fermeture des hangars et magasins du kolkhose trois fois pendan la nuit : à 20 heures, à 22 h. (avant c'était minuit, mais il a avancé) et à 5h 30 du matin. Les trois fois c'est la nuit. Il le fait en compagnie de son chien, qui grogne et aboie, me dit Galina, quand il croise des personnes autres que Youri. Je lui ai demandé s'il ne serait pas plus prudent que Youri réintègre la colonie. Youri l'exclut à cause du magasin d'alimentation où il peut acheter des denrées que son système digestif accepte (fromage blanc frais, oeuf à la coque, poulet de ferme bouilli...) Il ne digère rien de gras, ni la viande, sans parler de conserves. Autre détail curieux des fonctionnaires : ils ont demandé à Youri comment il se faisait que les "occidentaux" ne bougeaient pas trop. C'était juste après le refus et il a répondu qu'ils devaient patienter un peu. Les lettres des 9 associations à Naoumov étaient seulement en préparation. Chauffage. Le froid est reveu. Le père de Galina est entre autres choses artisan constructeur de poëles russes. Il a fait ce qu'il a pu pour faire marcher le seul qui fonctionne à Peskovtsi. Youri l'utilise comme une cheminée, le portillon ouvert, ce qui pendant le jour maintient la température autour de 10-12 degrés. Il ne ferme pas le poële pour la conservation de la chaleur pendant la nuit, car il a risqué déjà l'asphyxie par oxyde de carbone. Le père dit qu'ils ne pourront rien faire de mieux pendant ces grands froids d'hiver. L'isolation temporaire que nous lui avons sugérée - paille sous une bâche dans le grenier audessus du plafond très mince -  n'est pas réalisable. D'une part les bâches ne se trouvent pas, dit Galina, mais surtout c'est trop dangereux de fourrer de la paille dans le grenier à cause de l'incendie : la cheminée y passe, brûlante. Au printemps l'isolation se fera avec de l'argile et le poële pourra être mis à neuf. Le père dit qu'il fallait y penser avant. Il a raison. Bref, la vie là-bas n'est pas facile: La femme du recteur de l'Université de Gomel, qui a appelé Olga voulant se libérer la conscience, a appelé aussi Galina. Elle lui a dit "ne me cherchez pas". Elle se cache dans un village. Elle a quitté son mari ou a été abandonnée par lui. Gravement malade, elle ne veut pas mourir sans se décharger du fardeau de ce qu'elle sait. Que sait-elle? Actuellement, une douzaine de personnes de l'Université dirigée par son mari sont sous procès pour corruption. Parmi eux 5 professeurs de grande valeur. L'un d'eux s'est pendu en prison (ou on l'a "fait se pendre", selon cette femme). Elle raconte qu'il y a un groupe de personnes du monde universitaire de Gomel, organisées en association mafieuse depuis des années dans la corruption et dans des gains illicites. Bandajevsky non seulemnt a refusé d'entrer dans leurs combines, mais les a contrecarrées dans son institut, en licenciant un magouilleur, et ils se sont vengés (voir l'un des premiers articles de Makovetskaya en '99). En eux-mêmes ce sont de petits poissons, mais ils sont protégés  et manoeuvrés d'en haut. On les aurait utilisés. Le mari-recteur, homme faible, est redevable à cette organisation de son poste. Dès que l'affaire judiciaire actuelle a démarré dans son Université, il s'est mis sur la touche en donnant sa démission et, curieusement, n'a pas été touché. Maintenant, il travaille ailleurs . Sa femme, avant de s'éclipser, s'est fait accompagner à l'ambassade d'Iran (?!) en y laissant une reconstruction des faits et des documents, qui racontent égalemnt, a-t-elle dit, les dessous de l'affaire de Youri. Elle a dit à Galina que, pendant les deux années qui ont précédé l'arrestation de 1999, Youri avait une secrétaire, qui introduisait un "médicament" dans son thé, qui avait un effet déstabilisateur sur le cerveau. "N'avez-vous pas noté un changement dans la personnalité de votre mari, pendant cette période?". Galina dit qu'en effet, surtout pendant la dernière année, Youri était devenu extrêmement irritable, la moindre contradiction, le moindre détail pas dans l'ordre provoquait des fureurs. Les larmes et la crainte du chef de famille, que Galina attribuait à la surcharge de travail, régnaient  dans la maison. La mère de Galina lui a confié qu'elle pensait qu'on allait vers le divorce tellement le climat était électrisé. En y repensant maintenant, Galina n'exclut pas la possibilité d'une lente intoxication. Je lui ai demandé, si c'était nouveau dans le caractère de Youri. Elle m'a dit que oui par la rapidité du changement et que cela s'était accentué surtout pendant la dernière année. J'ai demandé à Galina, qui n'a entendu cette femme qu'au téléphone, de me dire l'impression que son intuition lui suggérait. Était-elle sincère? Était-elle équilibrée? Nous avons déjà eu le cas de Lisa Orlova, qui voulait soi-disant aider. Galina y a pensé bien sûr. Elle a l'impression que cette femme est honnête, qui a remercié Galina de l'avoir écoutée et de ne l'avoir pas repoussée en la prenant pour une mythomane. Pendant le prochain week-end, lundi compris, Galina ira à Peskovtsi. Je lui ai dit de payer une voiture à Nesterenko pour s'y faire accompagner et qu'on lui fournirait l'argent nécessaire. C'est utile surtout à l'aller, car Galina se charge toujours de paquets de choses et de victuailles à apporter à Youri. (Mais souvent les vieilles voitures de Nesterenko sont en panne.) Elle m'a demandé si Jean Druon apporterait l'argent que Martial n'a pas apporté. J'ai répondu que non, je ne suis pas sûr qu'il soit déjà retourné à Solange. Galina me dit que ce n'est pas urgent. Elle veut seulement pouvoir laisser une somme à la famille quand elle ira à Caen, en juin. Quand Nesterenko sera à Paris du 13 au 16 mars, puis en Allemagne à Jülich avant de rentrer, et qu'on pourra donc parler ouvertement avec lui par téléphone, il faudra lui demander de faire transiter l'argent pour Galina par son compte allemand, qu'il peut retirer en Russie sans limitations. Sinon, je pourrais demander un coup de main à Philippe Lüscher du théâtre Grütli de Genève, qui m'a écrit le 17 janvier  : Je suis invité en Biélorussie en mai prochain pour présenter un spectacle, n’hésitez pas à me demander quoi que ce soit.