Tchernobyl ne fait que commencer

Le Canard  enchaîné


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« Les silences

de Tchernobyl »

 

par Guillaume Grandazzi et Frédéric Lémarchal (Autrement)

 

Quoi, il a du nouveau à dire sur Tchernobyl ? C'est de l'histoire ancienne, non ? Non : Tchernobyl, et c'est bien ce que montre ce livre à plusieurs  voix, n'est qu'aux tout débuts de son histoire. A la fin de ce millénaire, lorsque le tour Eiffel tombera en poussière que restera-t-il de notre siècle ? Le sarcophage de Tchernobyl. Ce sera le seul monument d'envergure que nous laisserons à  là postérité. Tchernobyl nous oblige donc à penser loin devant, comme aucun événement  humain ne l’a jamais fait, ouvre sous nos pieds un vertigineux et impensable abîme. Dès aujourd’hui, toutes sortes d'insolubles questions se posent.

 

D'abord : comment vivre dans les zones contaminées ? Oui, des humains continuent de vivre dons ces zones,  et ils ne sont pas une poignée mais  huit millions.  Parmi eux, des enfants qui souffrent de maladies rares chez les enfants : maladies cardio-vasculaires, cataractes, vieillissement pré­coce, affaiblissement du sys­tème

 

immunitaire, malformations congénitales ... Com­ment les soigner ? Comment les soigner, alors que le pouvoir biélorusse  cherche à faire croire que ces zones sont dé­sormais sans danger ? Et que, pour faire passer ce mensonge, il a fait jeter en prison un homme qui affirmait le contraire ?  Le professeur Youri Bandajevsky est en effet coupable d'un grand crime : il soutient que les ha­bitants des zones contaminés, en ingérant des faibles doses de césium 137 incorporés dans la nourriture,  continuent de se contaminer .  Condamner à huit ans de prison, il est enfermé depuis le 18 juin 2001 [1]

 

Dès le 26 avril 1986 à 1 h 20 du matin Tchernobyl a ainsi été le théâtre de tous les mensonges d'Etat, de toutes les falsifications, de tous les dénis (le bilan officiel n'est toujours que de 32 morts, alors qu'ils ont été des centaines de milliers). Et ça continue.

 

Autre question : comment commémorer Tchernobyl ? Certains ont proposé de le classer comme « patrimoine de l'humanité» une partie des zones contaminées, la nature et les villages environnants. Où de reconstruire un village contaminé dans une zone propre, Un village dont la

 

seule différence avec un village réel serait l'absence de césium, de strontium et de plutonium, lesquels sont incolores, inodores et sans saveur… Une sorte de faux Lascaux, où il n'y aurait rien à voir….  Comment se souvenir de quelque chose qui vient à peine  à commencer ?

 

Et puis comment parler de Tchernobyl ? Depuis sa sortie, «La supplication», le livre foudroyant de Svetlana Alexiévitch, le seul qui ait  réussi à rendre palpable l’horreur de Tchernobyl, à dire sa radicale et indicible nouveauté, est en train, dans le silence, de creuser son chemin.  Une vingtaine d'adaptions théâtrales en ont été tirées. La troupe «Brut de production » ne cesse de la jouer, en France et en Biélorussie, depuis cinq ans (en ce moment et jusqu’au 23 mai en tournée dans toute la France).   Dans une splendide dialogue avec le philosophe Paul Virilio, l’auteur de « La supplication » le dit : Tchernobyl constitue « un saut dans une réalité totalement nouvelle.  Ce que c’est passé est  au-delà non seulement de notre connaissance, mais aussi de notre imagination ».

 

Jean-Luc Porquet.

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§         234p.  19 Euro

[1]  www.comité-bandajevsky.org

 

 

 

 

 

 


 

[1] www.comité-bandajevsky.org