Wladimir Tchertkoff

 

  

"ENFANTS DE TCHERNOBYL BELARUS"

 

Professeur Youri Bandazhevsky

 

  14 décembre 2003

Nouvelles de la famille Bandajevsky


 

 

Le 9 décembre, Galina Bandajevskaya est rentrée à Minsk d'Allemagne, où elle accompagnait le professeur Nesterenko, invité pour des conférences par les associations qui soutiennent ses derniers 20 Centres locaux de contrôle radiologique dans les territoires  contaminés par la catastrophe de Tchernobyl. Le 10, elle est allée en prison pour une visite de 2 jours à son mari.

 

La veille de son départ pour l'Allemagne, le 2 décembre, Galina a eu un entretien avec M. Kovtchour, directeur du Comité  d'exécution des peines, pour le consulter sur l'opportunité de présenter une demande de libération de Bandajevsky pour raisons de santé. Kovtchour a déconseillé de le faire, parce que la santé de Youri n'était pas suffisamment alarmante en ce moment pour garantir une réponse positive, mais surtout parce que sa libération  était proche, selon lui, grâce à la prochaine amnistie génerale. Parallèlement il semblait que le Service de citoyenneté et de grâce du Président examinait la demande de libération, que Bandajevsky avait récemment adressée à Loukachenko, à la demande de l'administration pénitentiaire elle-même. 

 

Deux sont les voies, en effet, pour la libération de Bandajevsky, et toutes les deux semblent se préciser depuis les dernières nouvelles :

 

1) L'amnistie - Le 2 décembre dernier, Kovtchour a été explicite et formel avec Galina  : "Je vous garantis que nous proposerons la libération du professeur Bandajevsky en tête de liste. Nous en avons assez de lui. Grâce à la loi d'amnistie, dont le Parlement a commencé la seconde lecture, il sortira au plus tard en avril, sinon en février si la loi est votée avant la fin de l'année. Ceci dit, je m'interoge aussi : pourquoi m'ont-ils tellement pressé pour la transmission du dossier de demande de grâce?"… Le Code Pénal de la République du Belarus établit que c'est le Comité d'exécution des peines qui décide de la transmission de la demande de grâce au président de la République, en formulant "une appréciation sur la personnalité du condamné, sur sa conduite, sur son attitude face au travail et à l'éducation pendant qu'il purge sa peine, sur son attitude par rapport au délit commis, ainsi que d'autres circonstances qui méritent attention et qui confirment que le condamné a atteint un certain degré de redressemeent."  Kovtchour a assuré Galina, qu'ils ont fait le nécessaire pour aider à la libértion de Youri. Il l'a dit également à l'actuel directeur de l'OSCE à Minsk.

 

2) La grâce - Ce serait la meilleure issue, car Bandajevsky serait immédiatement et totalement libre, alors que s'il n'était libéré que par l'amnistie, il serait bloqué au Belarus jusqu'en 2009, avec obligation de se présenter régulièrement au commissariat de police. En outre, l'exercice des fonctions administratives lui serait interdit jusqu'en 2014.

 

Galina a prié Kovtchour de téléphoner au directeur du service des grâces de l'administration du Président pour en savoir plus. Kovtchour a préféré s'abstenir. Alors Galina a demandé à sa belle-mère de le faire, vu que déjà en 2001 elle a été reçue par ce personnage. Il lui a répondu : "Nous ne pouvons pas encore vous réjouir, ni vous attrister non plus. Car nous avons encore beaucoup de cas à examiner." Cette réponse confirme l'information qui circule parmi les journalistes de Minsk, selon laquelle Bandajevsky est inséré dans la liste des candidats pour la grâce présidentielle. Ils seraient en train de décider.

 

Le contexte politique - Les rapports entre Loukachenko et Poutine ne s'améliorent pas et le premier semble en ce moment moins contraire à l'Occident, auquel il demande de l'aide pour ses problèmes avec les immigrants clandestins d'Asie et d'Extrême Orient, et pour le flux d'armes et même d'uranium enrichi, qu'il intercepte en provenance de l'est. (Reuters, 06.12.03) Il y a trois jours, Loukachenko a déclaré au sommet de l'information à Genève : "Nous avons de quoi informer les chercheurs et les étudiants du monde sur la santé des habitants contaminés par la catastrophe de Tchernobyl."

 

Youri Bandajevsky - Tout ceci peut continuer à nous donner de l'espoir, mais ne suffit pas à rassurer Youri Bandajevsky, dont l'esprit, confronté à l'arbitraire absolu depuis quatre ans, a perdu toutes les références au droit, à la justice et à la vérité concernant son sort. Il est intimement convaincu qu'ils peuvent dire et faire n'importe quoi avec lui. Tout, à ses yeux, pourrait n'être qu'un théâtre trompeur. Il a dit à Galina que quand et si il sera libéré, il lui faudra au moins six mois pour retrouver une appréhension objective et normale de la réalité.

 

Le 3 décembre dernier, le responsable actuel de l'OSCE à Minsk est venu le voir. Cette rencontre a été précédée par une certaine agitation de la direction de la prison. Le directeur est venu se rendre compte de l'état de sa cellule et a ordonné quelques réparations. L'hôte et le détenu ont été invités dans le bureau du directeur, où une tasse de thé leur a été servie. Le directeur et son assistant étaient présents, discrètement absorbés par leur travail dans un coin du bureau, mais le thème de la conversation n'a pu, évidemment, qu'être très général.  

 

Son état de santé - Physiquement Galina a trouvé son mari amaigri. Il n'est plus bouffi, il a un aspect plus sain, malgré la grippe, le rhume et la toux. Moralement c'est toujours la dépression, une profonde insécurité, l'obsession compulsive d'un doute permanent. Il interrompait sans cesse la conversation avec Galina par les mêmes questions, "Tu y crois? Tu crois que je sortirai bientôt?". Il tournait comme un écureuil en cage.

 

La moindre violence, - la prison est faite de violences continuelles, quasi "normales"  - lui fait perdre le contrôle de ses nerfs à fleur de peau. Le colis que Galina lui a apporté était très lourd. A cause de la cicatrice de l'appendicite encore fraîche, il ne devait pas le soulever. La règle veut que chaque détenu s'arrange lui-même avec son colis. Il s'est mis d'accord avec un gardien pour que quelqu'un l'aide à le porter jusqu'à sa cellule. Mais au moment de quitter la chambre de la visite, le gardien n'était plus le même. Quand Youri est sorti pour lui demander de l'aide, il s'est fait rabrouer méchamment (Galina entendait derrière la porte) : "Alors quoi, tu te crois spécial chez nous? Ici, tu es comme tout le monde! Arrange-toi." Youri a tenté de lui expliquer, qu'il ne pouvait pas et que si on ne l'aidait pas, il resterait sans nourriture, mais l'autre l'a repoussé durement. Quand il est rentré, il était blanc comme un drap, en sueur, pris d'un tremblement incontrôlable, désorienté : "Je resterai sans rien à manger. Dans un mois c'est Noël (le 7 janvier, orthodoxe) : qui sait quand vous pourrez revenir la prochaine fois?!" Au bout d'un moment, un autre gardien, qui a assisté à la scène et a vu dans quel état il était, est entré : "Calme-toi, nous résoudrons ton problème positivement." A la fin, le colis a été transporté par un détenu. "Ils m'humilient continuellement".

 

Galina observe que Youri est complètement différent des autres détenus. Elle a assisté à des scènes analogues entre femmes porteuses de colis, gardiens, qui faisaient obstacle à la transmission des denrées, et maris ou frères détenus, qui voulaient les prendre. Les conflits se résolvaient tantôt avec des jurons accompagnés parfois de rigolades, tantôt dans la soumission, en acceptant l'humiliation, sans tragédies.

 

Galina souligne que les détenus traitent Bandajevsky avec respect et même avec une certaine sollicitude et affection. Ils ont de la peine pour lui

 

Publications scientifiques - Youri a été littéralement transfiguré en voyant ses articles publiés dans les journaux scientifiques "Cardinale" et "Swiss Med Wkly" (fruit du symposium organisé par Michel Fernex à l'Université de Bâle), que Galina lui a apportés discrètement. Comme d'habitude, son regard était triste quand elle est arrivée avec Natacha, sa fille plus jeune.  En s'intéressant à la vie de Natacha, en les questionnant sur Katia, sa petite-fille de Gomel et sur la santé de Olga, peu à peu la vie a reflué en lui. Mais quand il a vu les publications et qu'il s'est mis à lire ses propres textes en français et en anglais dans ces belles revues scientifiques, il a ressenti comme un choc, ses yeux se sont mis à briller. Il s'est vu rétabli dans la dignité. "C'est ma vraie réhabilitation! Un grand merci au professeur Fernex pour ce magnifique cadeau. C'est la première fois que je sens qu'il y a aussi de la noblesse en moi. Merci."

 

Galina lui a apporté ces publications en cachette, pour qu'il les voie. Elle a dû les reprendre et lui enverra des photocopies, car pour rester chez lui, elles doivent passer la censure. Elle raconte qu'il n'a pas dormi jusqu'à 3 heures du matin, en les feuilletant, en les lisant et les relisant des dizaines de fois.

 

Youri lui a dit qu'il travaille. Il écrit au moins deux pages par jour. Il travaille de mémoire (qui paraît-il est grande) et grâce aux publications que lui passe l'Ambassade de France.

 

 

 

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