"ENFANTS DE TCHERNOBYL BELARUS"
Jeudi 2 octobre Youri Bandajevsky a subi une opération difficile en prison. Il semble maintenent hors de danger.
Le samedi 4 octobre, à 9 heures du soir, Galina Bandajevskaya a reçu deux coups de téléphone de parents de détenus, lui disant que son mari avait subi une opération difficile, qu'il était en très mauvais état et qu'il fallait le transférer d'urgence dans un bon hôpital, "sinon vous risquez de le perdre". Ils n'ont pas su dire ni quand, ni de quoi il a été opéré.
Pendant le week-end aucun contact n'était possible avec la prison. Galina a immédiatement appelé le Comité d'exécution des peines (CEP). La direction était absente. Elle a parlé avec un fonctionnaire de garde, qui lui a conseillé de se présenter à la prison lundi pour avoir des nouvelles. Elle lui a répondu que si dans les 20 minutes il ne se mettait pas en contact avec la direction de la prison et ne l'informait pas, elle déclencherait un scandale international. (Entretemps le Professeur Nesterenko se mettait en contact avec l'ambassade de France, demandant de l'aide. M. Chakhtakhtinsky, premier secrétaire de l'ambassade, l'a assuré qu'il se mettrait immédiatement en contact avec les autorités. Le Ministère des Affaires étrangères du Belarus a, nous a-t-on dit, manifesté son mécontentement suite à cette intervention nécessaire et utile.) Le fonctionnaire du CEP a rappelé Galina au bout de 20 minutes, lui disant que Youri a été opéré jeudi de l'appendicite, qu'il était à l'hôpital de la prison, lucide et bien portant et que "lundi on va le transférer dans la salle de l'hôpital." - "Transférer d'où?" - "De la réanimation", - a échappé au fonctionnaire. "Je ne crois pas à ce que vous me dites. On ne tient pas un opéré d'appendicite pendant 4 jours en réanimation." - "Allez lundi à la prison et informez-vous."
Les 40 heures qui ont suivi dans l'ignorance et dans l'incertitude furent un enfer d'angoisse. Galina n'a pu parler avec le directeur de la prison et avec le chirurgien-chef, qui a opéré Youri, que lundi 6 octobre à midi. A 13 heures, elle a obtenu de voir Youri face à face, sans vitre ni téléphone, seulement après avoir de nouveau menacé un scandale international. Sa visite n'était pas prévue, il n'y avait pas de chambre disponible, le règlement de la prison n'autorisait pas de l'introduire à l'hôpital, ni dans la cellule du détenu. On les a fait se rencontrer dans la chambre-vestiaire, où les gardiens mettent leurs uniformes. Youri est venu à pied, accompagné. Il avait les traits tirés, mais le teint rose, meilleur que la fois précédente, quand il a eu la crise cardiaque. Que s'était-il passé?
Dans la journée du lundi 29 septembre, Youri a eu des douleurs au ventre, qui sont allées en s'accentuant. Dans la nuit elles sont devenues insupportables. Au début, il a pensé que son ulcère s'était ouvert. Mardi 30, il s'est adressé à un jeune médecin de garde. Celui-ci a dit qu'il exagérait et a commis deux erreurs, deux interventions que les manuels de médecine proscrivent quand on ne sait pas ce qui se passe exactement dans la cavité abdominale. Il lui a fait un lavement et une injection antidouleur, ce qui, d'un côté, risque de faire éclater ou percer ce qui tient encore dans l'abdomen et, d'autre part, diminue les possibilités d'observation clinique. Ayant liquidé la besogne, le médecin a renvoyé le détenu dans sa cellule. Au lieu d'un soulagement les choses ont empiré, le ventre a gonflé, tendu comme un tambour, nausée, forte douleur constante. Par chance, depuis quelques jours on avait placé un co-détenu dans la cellule de Youri. Mercredi 1 octobre, il lui a demandé d'aller à l'hôpital et dire qu'il fallait l'hospitaliser. On l'a mis sur un matelas sans draps, sur lequel il a passé toute la nuit suivante en tremblant de fièvre et de douleurs. Il avait demandé una analyse du sang, pensant maintenant que c'était plutôt une appendicite. On lui a répondu que c'était impossible car la laborantine était à sa maison.
Le matin du jeudi 2 octobre, on s'est rendu compte à l'hôpital que la situation était très grave et ce fut le branle-bas, la panique. Le médecin-chef chirurgien, Touchinsky, de cet Hôpital Républicain du ministère de l'Intérieur situé dans l'aire de la prison, est descendu personnellement, a pris la situation en mains et a évité la catastriophe. "Encore quelques heures et tu aurais pu assister à mon enterrement, Touchinsky a les mains en or", - a dit Youri à Galina.
Tous les médecins de l'hôpital ont été mis en action, la laborantine appelée d'urgence de chez elle, le technicien des ultra-sons a dû revenir de son lieu de vacances.
L'analyse du sang a montré une forte infection (18.000 leucocytes - "déplacement vers la gauche de la formule leucocytaire"). Les examens et l'opération ont révélé une appendicite gangréneuse phlégmoneuse négligée, avec péritonite. L'opération a duré 2 heures et demie. L'incision, longue d'environ 10 centimètres, n'a pas été fermée complètement, un drain y a été posé. L'infection remontait à pas mal de temps, l'appendice avait une position atypique, retournée vers l'estomac.
Actuellement l'analyse du sang serait normale. Youri lui-même a confirmé qu'il allait mieux. Il ne souhaite pas se faire transférer dans un autre hôpital en ville, pour deux autres raisons : il refuse l'humiliation d'aller se faire soigner par des collègues avec les menottes aux poignets, deuxièmement il sent qu'il lui faudra une longue période de re-adaptation au monde. On l'a fait monter à un certain moment dans le bureau de Touchinsky, dont les fenêtres sont sans grilles et sont proches d'une grande rue de la périphérie de la ville. Le seul fait de voir le mouvement libre des gens au carrefour, de sentir le bruit de la circulation lui a fait un effet violent et lui a donné le sentiment qu'il n'appartenait plus à ce monde, qu'il n'y était plus adapté. Ce sera un long travail de retour personnel vers la vie normale, mais non dans la situation du paquet qu'on transporte avec des menottes, qu'on dépose, qu'on manipule, qu'on remmène en prison. Pour le moment il préfère rester dans sa cellule. Ce dont il a vraiment besoin c'est de nourriture adaptée, fraîche (pas limitée aux conseves et au saucisson sec), des jus de fruits. Galina a écrit à la direction du Comité d'exécution des peines pour qu'on l'autorise à lui apporter des victuailles deux fois par semaine. Elle ne pense pas qu'on le lui accordera.
Les autorités les plus proches, directement responsables du détenu Bandajevsky, ont eu réellement peur. Dimanche 5 octobre, des représentants du Comité d'exécution des peines sont venus trois fois demander à Youri comment il se sentait, quelle était son appréciation sur sa santé. Il leur a dit qu'ils devaient interroger les médecins qui le soignaient. Comme l'avait dit le cardiologue de la prison, qui avait parlé le 23 septembre avec Galina, la vraie médecine pour Youri est la liberté, la sérénité, une nourriture saine et équilibrée, son travail de chercheur.
Le médecin-chef, Touchinsky, a dit à Galina que Youri serait libéré prochainement. "Comment pouvez-vous l'affirmer?", lui a-t-elle demandé. Sa réponse fut : "Depuis 20 ans que je travaille ici, je n'ai jamais vu que la direction de la prison ait appuyé la demande de libération d'un détenu." Il serait en effet surprenant que ce soit précisément avec Bandajevsky que la direction se mette à improviser et à innover. Il est plus vraisemblable qu'un ordre est venu d'en haut.
Dernière nouvelle : mercredi 8 octobre, dans l'après-midi, Olga, la fille de Youri et de Galina, a mis au monde une petite fille.
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