Wladimir Tchertkoff

 

 

"ENFANTS DE TCHERNOBYL BELARUS"

 

Professeur Youri Bandazhevsky

 

 

 

 

 

 

 

 

  

15 juillet 2003

 

Nouvelles de prison

 

 

 

15 juillet 2003 

Nouvelles de prison

 

 


 

 

Le 15 juillet dernier, après des semaines de tergiversations, des oui et des non de la part du Comité d'exécution des peines, Olga, la fille majeure de Youri Bandajevsky, enceinte au 7me mois de grossesse, s'est présentée devant la prison et a finalement obtenu de la direction un droit de visite de 24 heures pour la famille. En un premier temps, les autorités carcérales avaient accordé cette visite à Youri, puis l'ont refusée, arguant de la visite des ambassadeurs, qui auraient ainsi "dépensé" cette possibilité, alors qu'ils avaient assuré auparavant à l'ambassade de France qu'il n'en serait rien. A la fin, les geôliers ont cédé devant la fille enceinte. Jeu humiliant et gratuit d'un pouvoir arbitraire, dont les exécutants sur place décident finalement pour la simple humanité.

 

Youri est de nouveau seul dans sa cellule, alors qu'il s'était trouvé récemment en meilleure compagnie avec un jeune détenu pour délits commerciaux, qu'on lui avait placé en substitution de l'assassin précédent. Les gardiens séparent et divisent systématiquement les groupes dès que des rapports humains cordiaux s'établissent. Mais Bandajevsky, qui s'est remis au travail, ne s'en plaint pas, car de toute façon les échanges intellectuels dans cette société d'assassins, de petite criminalité et de victimes économiques sont minimes, ne lui suffisent pas. "Le brillant cerveau de Youri Bandajevsky, scientifique coupable d'avoir révélé les effets moins connu mais pas moins meurtriers de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, moisit enfermé dans une cellule de la rue Kalvarijskaia, la prison de Minsk. S'il était né dans un pays libre, Bandajevsky serait aujourd'hui célébré comme un don de l'humanité". C'est le début, sans doute un peu rêveur sur le monde libre, d'un article paru sur le quotidien italien "La Repubblica" le 28 juin dernier. Bandajevsky ne se plaint pas de sa solitude actuelle, car il s'est remis au travail depuis qu'il est sorti de ses illusions et de ses espoirs mystiques des mois précédents. Il a eu une crise libératoire au début de mai et a confié à Galina, (avant le départ de celle-ci pour la France avec un groupe d'enfants contaminés) : "Je ne m'appartenais plus, j'étais comme sous l'effet d'une hypnose". La "voyante", qui correspondait avec lui l'année dernière et l'ambigu Konopliov, qui le visitait (mais qui ne le visite plus),  l'avaient persuadé qu'il pourrait sortir de prison au début de mai. La déception devant l'évidence de la tromperie l'avait jeté momentanément dans le désespoir, mais l'a dégrisé. Il a cessé de s'obséder de phantasmes, a remis de l'ordre dans les journaux scientifiques qu'il reçoit de l'étranger et s'est remis au travail. Il est reconnaissant à l'ambassadeur de France qui lui a donné une excellente bibliothèque de livres de qualité : vies d'homme célèbres et ouvrages scientifiques de valeur. Youri lit beaucoup et il écrit beaucoup, Galina le confirme : il a sur le doigt la "bosse de l'écrivain. "J'ai reclassé tous les journaux scientifiques. Je me sens beaucoup mieux", lui avait-il dit fin mai, avant qu'elle parte pour Caen. Il travaille en ce moment à la "Pathogenèse des pathologies de césium 137".

 

Galina lui a apporté un colis de victuailles, offertes en grande partie par les familles de Caen de l'association "Solidarité Biélorussie de Tchernobyl" (Agnès Leschaève). Elle lui a apporté aussi les articles de Libération et du Monde. Celui de Hervé Kempf ["La faute de Iouri Bandajevsky" Le Monde du 24 juin] l'a rempli de joie et d'admiration, il l'a relu plusieurs fois en le commentant enthousiasmé. "On dirait que cet homme a vécu près de moi, il a tout compris, il a dit tout ce qui était important de dire et il n'a rien déformé. C'est rare, des journalistes comme ça." (sic)

 

Mais, comme c'est toujours le cas lors de ces visites, Youri a montré aussi l'autre visage à sa femme.

 

A part les cheveux blancs, le teint gris, les yeux cerclés, les problèmes avec les dents et avec la digestion, Bandajevsky souffre du cœur, il y porte continuellement la main (douleurs) et prend des cachets. Mais il ne veut pas se soumettre à l'ECG en prison. Il pense que ce serait ouvrir la porte à de possibles manipulations. Il se soigne lui-même en prenant ses médicaments, qu'on lui a accordé, étant médecin, d'avoir dans sa cellule. L'administration carcérale ne veut pas de complications avec ce détenu et craint pardessus tout pour sa santé psychique : ils sont convaincus que ce n'est pas le type "adapté" pour être dans une prison de ce genre (post-soviétique misérable), pour un temps si long.

 

Il travaille et il souffre. C'est la constante de sa vie en ce moment, que m'a transmise Galina après sa sortie mercredi. Pendant les 24 heures de visite concédée (15 juil.) il est passé de l'exaltation pour l'article du Monde à une dépression noire et désespérée. Il reconnaît l'importance de l'aide et du soutien international, mais ajoute aussitôt "mais qu'est-ce que cela donne? Qu’est-ce que cela a donné?!" Le jour du départ Galina est sortie épuisée avec 190 de tension artérielle, dans l'impuissance de le raisonner-consoler.

 

Youri est rongé en permanence par le doute sur sa sortie: "Tu dois comprendre que personne des détenus n'est sûr qu'il sortira d'ici vivant. Oui, je pourrais sortir d'ici un an (et je n'en peux plus de durer encore un an), mais qui te le garantit? IL (Loukachenko) peut faire ce qu'il veut... Je peux y rester les 8 ans complets. Je détruis les meilleures années de ma vie, les plus créatives. Et si je sors, que ferai-je de moi, sans l'instrument qu'était l'Institut?". Chaque fois, Bandajevsky donne l'impression à sa femme d'être à la limite du supportable.

 

Ceci dit, à 9 heures, quand il a passé la barrière, Galina l'a vu changer complètement de personnalité: il s'est retrouvé dans "son monde" avec les autres, il parlait normalement, souriait, était normal. Il lui a dit, pendant leur longue conversation jusqu'à 3 heures du matin (ils n'ont dormi que 2 heures), qu'il valait peut-être mieux qu'ils ne se voient pas. Cela l'arrache d'une certaine adaptation...