Wladimir Tchertkoff

 

 

 

"ENFANTS DE TCHERNOBYL BELARUS"

 

Professeur Youri Bandazhevsky

 

 

21  mars 2004

 

"Ne crois rien, ne crains rien, ne demande rien."

 


 

 

Devant le refus de la grâce, que les autorités avaient fait miroiter, devant le déni de la relégation, à laquelle l'amnistie donnait droit, je constatais dans les précédentes nouvelles de prison qu'un jeu cruel avait repris de la part des autorités biélorusses pour détruire Bandajevsky.

 

Par surprise, ce jeu a sorti l'effet contraire à celui qui était probablement escompté par ses ennemis. La honte de s'être plié à redemander la grâce, à laquelle il ne croyait plus, l'humiliation d'être pris en dérision par le refus sarcastique de Loukachenko, qu'il prévoyait, semblent avoir guéri Youri Bandajevsky d'une longue maladie. Il est toujours en prison, mais cette fois-ci en homme libre, déterminé à se battre. Il s'est affranchi de la peur. Les promesses trompeuses, les délires tactiques, les espoirs irrationnels, qui secouaient ses nerfs et paralysaient son esprit, sont tombés en poussière. En poussant jusqu'au bout leur mystification, en lui signifiant clairement qu'il n'y avait rien à attendre d'eux, les ennemis de Youri, qui pensaient sans doute l'abattre, ont détruit en réalité leur crédibilité et l'ont restitué à lui-même. Les dissidents soviétiques ont forgé la maxime qui exprime par 3 refus la détermination de rester libre dans un goulag: "Ne crois rien, ne crains rien, ne demande rien." L'attitude actuelle de Bandajevsky se résume dans cette formule. C'est un autre homme, - calme et déterminé, - que Galina a écouté et observé pendant les 3 jours de visite qu'elle vient d'avoir en prison. "Il a grandi. Il est supérieur à ce qu'il était avant l'arrestation", m'a-t-elle dit.

 

Les quelques lettres, que Galina avait reçues de Youri après le double bluff des autorités, avaient déjà un autre ton. Elle avait l'impression qu'il y avait une nouvelle solidité et lucidité en lui. "Sois tranquille, je connais tous mes lycanthropes", lui écrivait-il, sans se soucier de la censure, en réponse à ses recommandations de bien réfléchir avant de décider quoi que ce soit. Tandis qu'auparavant Youri se plaignait et se lamentait dans ses lettres, maintenant il consolait la famille et l'exhortait à tenir le coup. Il semblait se préparer à rester encore longtemps en prison. Galina n'osait pas croire, mais la visite a confirmé ce changement.

 

Youri ne se pardonne pas d'avoir demandé la grâce une seconde fois. Il s'exprime sans crainte. " Si la relégation, à laquelle j'ai droit depuis l'amnistie, m'est refusée, il faudra attaquer durement par tous les moyens, juridiques, diplomatiques, dans la presse nationale et à l'étranger. En réalité, ce sont des couards. Ils craignent ceux qui parlent, non ceux qui se taisent. Pourquoi m'a-t-il fallu tout ce temps pour comprendre?"

 

Le troisième jour, avant de partir, Galina a osé dire à Youri que l'avocat Pogoniailo, dans une interview mordante à journal de l'opposition (BDG), avait ironisé sur les réponses, que le gouvernement biélorusse a adressées au Comité des droits de l'homme de l'ONU. Dans un texte de 7 pages, le gouvernement, qui s'est longuement étendu sur le bien fondé de l'accusation, argument qui n'intéresse pas le Comité, n'a rien répondu aux accusations d'avoir violé les articles 7, 9, 14, 17, et 19 du Pacte international sur les droits civils et politiques. "Pourquoi ne m'as-tu rien dit? C'est important!" - "Avant, tu me réprimandais pour ces choses, tu disais que cela te nuisait." - "J'étais un imbécile… Je ne suis plus le même. Je me suis rétabli...

 

La mère de Youri, présente à la visite de 3 jours, continuait à le raisonner pour qu'il soit prudent et qu'il renonce à cette plainte devant le Comité des droits de l'homme l'ONU. Il lui a répondu : "Mère, tu appartiens à la vieille génération communiste. Toute ma vie tu m'as inculqué cette peur…"

 

Galina est frappée par la transformation psychique et aussi physique de Youri. Il a une excellente mine. Il fait de la gymnastique et de longues marches quotidiennes dans l'aire de la prison. (Il lui a demandé de nouvelles chaussures de marche, les siennes étant usées.) Son système nerveux s'est rééquilibré. Il dort quand la nuit arrive, tandis que Galina a de la peine à s'endormir. Le teint gris a disparu de son visage. Il est en bonne santé et plein d'énergie. "Tu ne t'y attendais pas! Je me sens l'énergie de mes vingt ans. Je travaille à un grand manuscrit, vous serez étonnés… Je n'abandonnerai jamais ma science. Si j'ai enduré ces trois années, je saurai parcourir dignement mon chemin jusqu'au bout."  

 

La situation juridique est la suivante. L'amnistie générale a été appliquée au cas de Bandajevsky, qui de ce fait a droit à la relégation à partir du 3 janvier 2004. La direction de la prison l'a hospitalisé pendant quelques jours pour une expertise médicale, qui doit établir si il peut être envoyé en relégation. Entre le 20 et le 25 mars (plus probablement le 25) la direction décidera sur la  transmission ou pas de son dossier au tribunal, qui viendra siéger en prison, au plus tard le 10 avril, pour formaliser l'adoucissement de la peine.

 

Devant les doutes de Galina, Youri a juré qu'il n'a jamais rien signé concernant la relégation à Vetka et que cette prétendue signature de documents n'est même pas requise. Kovchur a menti à Galina. En outre, Youri peut, c'est son droit, demander au tribunal d'être assigné  dans un lieu proche de la famille, par exemple à Molodetchino, à 70 Km de Minsk. Troisièmement, même si le tribunal décidait d'autorité de l'envoyer à Vetka, il n'y aurait pas de quoi remettre en question la relégation. Bandajevsky est mieux armé que les habitants de Vetka, pour savoir comment limiter la contamination. Tout cela, ce sont des prétextes pour dramatiser son cas et refuser la relégation. Au début de 2005, Youri aura droit à la libération conditionnelle.

 

Youri et Galina nous demandent d'envoyer le plus rapidement possible à

 

KOVCHUR Vladimir Alexandrovich

KIN – Komitet Ispolnenia Nakasaniy

Ul. Oranskogo, 1

220006 Minsk,

BELARUS

Fax : 00375 172 261801

         00375 172 261806

  

 

et au directeur actuel de la prison :

 

BARINKOV Youri Alexandrovitch

U.Z.H. 15-1

Ul. Kalvarijskaia, 36

220600 Minsk

BELARUS

 

 

le maximum de lettres individuelles, dans le même style que celles envoyées le 25 février par nos 4 ONG françaises au même Kovchur et au Ministre de l'Intérieur.  (N.B.  Voir modèleDes lettres qui ne soient pas des demandes de libération pour des raisons humanitaires, mais, pour commencer, des exigences pour que le droit à la relégation de Youri soit respecté. « Conformément aux art. 90-91 du Code pénal de la République du Belarus, la peine de Y. Bandajevsky peut être remplacée par une peine plus légère après qu'il ait purgé pas moins de la moitié de la peine fixée par le tribunal » . Les deux amnisties ayant réduit la peine à 6 ans, la moitié, 3 ans, échoit selon mes calculs le 3 janvier 2004 (première arrestation du 13.07 au 27.12.1999 + deuxième arrestation du 18.06.2001 au 03.01.2004 = 3 ans).

 

Youri a rempli 9 grandes boîtes en carton de lettres qu'il a reçues depuis qu'il est en prison. Galina lui a suggéré de réduire cette masse, de faire un choix. "Pas question, ce sont des personnes vivantes qui m'ont écrit, c'est ma vie. Je les conserve toutes." Il regrette que les envois soient diminués ces derniers temps, sans doute à cause de l'attente de son éventuelle libération. Il est sensible au moindre petit mot, à la petite branche séchée que quelqu'un lui envoie, aux dessins d'enfant. Il demande de ne pas arrêter de lui écrire et de l'excuser s'il ne répond pas. Les envois de publications scientifiques sont très précieux. Il a reçu dernièrement des textes très intéressants, dit-il, accompagnés de crèmes after shave.

 

Revenant à sa seconde naissance, à sa reprise en mains de soi-même, il dit "Ne craignez pas de parler ni d'écrire."

 

Si les villes de France, qui ont honoré le dissident scientifique, ainsi que les avocats du réseau du "Mémorial de Caen", où l'injustice faite à Bandajevsky a été stigmatisée par la victoire de la plaidoirie de l'avocat québecois Choinière, écrivaient en masse aux autorités biélorusses, en réclamant le respect du droit, ce serait une excellente chose en ce moment.

 

Ce sont les nouvelles de prison, que je peux vous transmettre aujourd'hui.

 

 

Wladimir Tchertkoff

Yuri Bandazhevsky

 

220600 BELARUS

Minsk

Ul. Kalvarijskaya, 36

Boîte Postale 351