ETAT ACTUEL DES CONNAISSANCES CONCERNANT LES RISQUES SANITAIRES ASSOCIES A LA PRODUCTION, AU TRANSPORT ET A L’UTILISATION DES DIVERSES SOURCES D’ENERGIE
Maurice Tubiana - 19/04/01
( Directeur honoraire de l’Institut Gustave Roussy (Villejuif), Vice-Président de l’Académie de Médecine, membre de l’Académie des Sciences. Centre Antoine Béclère – Faculté de Médecine – 45 rue des Saints-Pères – 75006 Paris.)
Le thème « Energie et santé » recouvre plusieurs débats. Il y a d'abord le constat qu'il ne peut pas y avoir de santé, de bien-être (du chauffage l'hiver à la chaîne du froid l'été), sans des moyens matériels nécessitant une quantité d'énergie nettement supérieure à celle dont disposent plus de la moitié des habitants du globe. De ce fait, les avantages qu'apportent une quantité suffisante d'énergie, l'emportent très largement sur les inconvénients liés à sa production. De plus, les sources décentralisées d'énergie du monde traditionnel (le bois, la biomasse) polluent l'air intérieur des habitations avec des conséquences sanitaires incomparablement plus sévères que les filières modernes. Il en résulte deux conséquences sur le plan éthique : on doit mettre à la disposition de tous les êtres humains une énergie suffisante à un prix aussi faible que possible d'où l'importance sanitaire du prix de kW/h puisque plus celui-ci est élevé, plus nombreux seront ceux obligés de limiter son usage au dépens de leur confort et leur santé. D'autre part, pour optimiser la production d'énergie, on doit évaluer les effets de chaque filière sur l'environnement (essentiellement la pollution et l'effet de serre) et sur la santé, ce qui est l'objet de ce colloque.
Comme médecin, c'est sur la comparaison des risques pour la santé que je centrerai mon exposé. Pour les médecins, de telles comparaisons constituent un exercice familier puisqu'en thérapeutique le risque zéro n'existe pas et que les choix sont fondés sur une évaluation objective des risques. Cette expérience ancienne a enseigné qu'on ne doit pas tenir compte des convictions ou impressions, seuls comptent les faits' C'est la signification de l'aphorisme de Jean Bernard : « ce qui n'est pas scientifique n'est pas éthique ». L'effort de rigueur scientifique, le refus de la subjectivité, ont été des facteurs essentiels du progrès médical depuis un demi-siècle. Le succès de la médecine montre qu'ils sont possibles.
De nombreuses études ont comparé les risques sanitaires des diverses formes de production d'énergie. Si l'on s'en tient aux 4 principales sources (charbon, pétrole, gaz, nucléaire), la quasi-totalité de celles-ci concluent que l'énergie nucléaire est celle qui induit les risques les plus faibles (1,2). Une phrase d'un rapport du CEPN résume les résultats actuels « Le bilan de la comparaison des filières sur les indicateurs de rejets, les indicateurs d'impacts, et sur l'évaluation des coûts externes fait ressortir le net avantage du nucléaire par rapport au charbon ou au gaz. Ainsi, en termes de coûts externes, les valeurs publiées sont de l'ordre de 0,11 à 0,56 mЄ/kWh2 pour le nucléaire alors qu'elles atteignent 20 à 50 mЄ/kWh pour le gaz et 70 à 120 mЄ/kWh pour le charbon. Alors que pour la filière nucléaire l'essentiel du coût externe est lié aux expositions professionnelles, pour les filières charbon et gaz, les coûts externes proviennent essentiellement des impacts liés à la pollution atmosphérique régionale ou globale » (2). Ces tentatives pour quantifier les risques méritent donc d'être encouragées car elles peuvent aider les hommes politiques et les pays à choisir ; mais malgré des progrès indéniables leur méthodologie reste difficile et aucune n'est pleinement satisfaisante (3,4,5). Il faut donc identifier les problèmes qui subsistent pour tenter de progresser.
Les risques pour la santé.
Ils sont de nature différente selon les sources. Les uns ont été mis en évidence par des études épidémiologiques et le problème est alors celui de la validité du lien de causalité, car il faut se demander si les effets observés ont bien été causés par l'agent auquel on les attribue. Les autres, notamment ceux concernant le nucléaire ou les faibles concentrations de produits chimiques, n'ont pas été observés mais calculés. Dans de nombreux cas les risques ont été mesurés pour des concentrations, ou des doses, beaucoup plus élevées que celles qui existent autour des sources d'énergie, en fonctionnement normal ; leur évaluation est alors fondée sur une relation dose-effet. Celle-ci est indispensable pour ces calculs mais le choix de la relation est la source d'incertitudes qu'il faut analyser.
La plupart des modèles utilisent une relation linéaire sans seuil (RLSS). Il faudrait donc s'interroger sur la validité de cette relation pour la gamme de doses (ou de concentrations) sur laquelle cette extrapolation est effectuée. Cette relation a l'intérêt d'indiquer la valeur maximale du risque putatif, mais on doit, dans chaque cas, examiner les estimations qui seraient obtenues avec d'autres relations dose-effet compatibles avec l'ensemble des données expérimentales et humaines. En effet, l'utilisation de la relation linéaire sans seuil fournit des valeurs du risque dont la précision doit être discutée surtout pour les très faibles doses ou concentrations car on multiplie ces très petites valeurs par de très grands nombres : dans le programme ExternE (5), la population de l'Europe soit environ 3'108 individus pour les produits chimiques, et pour les produits radioactifs, par celle du globe, soit 1010 individus, si l'on compte uniquement les hommes vivants, voire 3.1013 si l.on calcule le nombre de cancers au cours des 100 000 ans à venir. Or le produit d'une valeur très petite, ε, par un nombre très grand (ε'∞) est sujet à des erreurs d'autant plus grandes que la valeur de ε est imprécise, ce qui est le cas pour les très faibles doses. C'est la raison pour laquelle l'utilisation du concept de dose collective pour l'évaluation d'un risque a été formellement déconseillée (6).
Comparaison entre les filières :
Lors des comparaisons entre plusieurs sources d'énergie, trois exigences doivent être satisfaites :
1) l'exhaustivité : a-t-on bien pris en compte pour chaque énergie, tous les risques possibles ?
2) la cohérence : les hypothèses et des méthodes sont-elles cohérentes pour les différentes énergies ?
3) la précision des estimations : En science, toute valeur doit être assortie d'un intervalle de confiance ou d'une barre d'erreur. On doit donc s'interroger sur la précision des données disponibles et rechercher les résultats qui auraient été obtenus si d'autres données, d'autres modèles et d'autres types de relations dose-effet avaient été utilisées. Tout modèle est fondé sur des hypothèses simplificatrices qui doivent être explicitées et discutées ; la grandeur des incertitudes introduites par ces hypothèses et modèles doit être estimée. Enfin, il faut aussi, quand cela est possible, comparer les estimations calculées avec un modèle (par exemple de dispersion des produits) avec les données disponibles ou, quand il n'y en a pas, effectuer des études qui permettraient de mesurer ces écarts.
La discussion sur la robustesse des comparaisons doit être effectuée sur trois plans : qualité des données épidémiologiques, pertinence de la modélisation, précision des résultats. Elle doit conduire à définir les études qui devraient être entreprises pour vérifier la validité des hypothèses et modèles retenus.
Pour illustrer ces considérations examinons deux cas :
A - Le pétrole et le gaz : la relation dose-effet, en matière d'effets sanitaires chroniques, repose sur le seul modèle épidémiologique de Pope (7) dont la validité reste discutée (8) et qui doit être utilisé avec prudence.
Dans la plupart des estimations proposées aucune mention n'est faite des agents génotoxiques ou cancérigènes produits par leur combustion : par exemple hydrocarbures aromatiques, aldéhydes, butadiène, etc. pour le pétrole ; benzène, etc. pour le gaz. Il faudrait donc, comme on le fait pour les corps radioactifs, effectuer des expériences pour mesurer la concentration de ces agents en fonction des conditions de combustion, afin de leur appliquer une relation dose-effet : soit la relation linéaire sans seuil, ou soit d'autres relations compatibles avec l'ensemble des données. De même, il faudrait considérer les métaux lourds ainsi que la pollution du sol et de l.eau, ce qui n'est présentement pas fait, car bien que ces produits soient mentionnés dans les projets (5), ils ne figurent pas dans les estimations disponibles.
Pour les agents chimiques pris en compte, l'évaluation des concentrations est effectuée avec un modèle de dispersion dont la validité n'a pas été vérifiée. Elle est limitée à environ 1000 km et sur 4 jours soit environ la population de l'Europe. Les effets sanitaires sont évalués sur 10 ans (7). L'utilisation de la relation linéaire sans seuil (RLSS) permet d'utiliser dans ces calculs les concentrations moyennes ce qui simplifie beaucoup la méthodologie, mais peut aboutir à des conclusions discutables. Par exemple, avec elle, la hauteur des cheminées d’usine n'a que peu d'impact sur le risque global puisque le facteur pertinent est la quantité de produits toxiques rejetés et non leur concentration. Or les toxicologues savent que la concentration est un paramètre plus pertinent que la quantité, ce qui explique qu'on ait eu de tout temps recours à la dilution pour protéger les hommes et l'environnement contre une contamination microbiologique ou chimique. De plus, pour les agents chimiques, les relations dose-effet sont généralement plutôt proportionnelles au carré de la concentration, ou de la dose, (relation quadratique), qu'à la dose, il existe donc une dose seuil pratique. Par exemple chez l'homme la relation pour le tabac est en D2 et non en D (9) : le risque de fumer deux cigarettes par jour, ou, ce qui est l'équivalent, d'être exposé à un tabagisme passif est très inférieur au dixième du risque induit par vingt cigarettes/jour et on admet que si le risque d'un repas par an pris avec un convive fumeur est négligeable.
L'existence d'un seuil pratique est en accord avec nos connaissances biologiques. Dans tout organisme vivant des mécanismes puissants luttent contre les agents toxiques et réparent les lésions de l'ADN que ceux-ci peuvent avoir produit. Sans ces mécanismes la vie n'aurait pas pu se développer dans un environnement hostile. Or leur efficacité est beaucoup plus grande pour les faibles doses d'agents chimiques ou physiques (par exemple les rayons ultraviolets du soleil) que pour les fortes qui peuvent déborder ces mécanismes. En d'autres termes, une cheminée haute est préférable à une cheminée basse et un bain de soleil à midi est plus nocif que plusieurs heures d'exposition solaire à des moments de la journée où le soleil est moins ardent, ce que tout le monde, d'ailleurs, sait intuitivement.
B . L'énergie nucléaire : il faudrait dans ce cas discuter, avec un soin particulier, la validité de la relation linéaire sans seuil car les doses considérées sont extrêmement faibles et l'extrapolation se fait sur des gammes de doses beaucoup plus considérables que pour les produits chimiques (6,10,11,12). Rappelons que l'effet cancérogène des radiations peut être mesuré avec précision acceptable pour des doses de 0,5 à 1 Sv et que la dose la plus faible d'irradiation à débit élevé pour laquelle un effet cancérogène a été détecté est d'environ 100 mSv (6). Depuis l'apparition de la vie sur terre, tout être vivant est soumis à une irradiation naturelle (rayons cosmiques, radioactivité naturelle) qui a régulièrement décru pendant cette période. De plus, l'irradiation naturelle varie considérablement d'une région à l'autre en fonction de la nature du sol : en France de 1,5 à plus de 6 mSv/an, à l'échelle du globe entre 1,5 mSv/an et 100 mSv/an. Or aucune
augmentation de la fréquence des effets génétiques (malformations congénitales) et de celle des cancers n'a été détectée dans les régions à forte irradiation naturelle'
De plus, les nombreuses enquêtes effectuées chez des populations exposées à des doses inférieures à 100 mSv (travailleurs des usines nucléaires et des arsenaux, malades soumis à des examens médicaux ou ayant ingéré des produits radioactifs pour des raisons médicales, etc..) n'ont jamais détecté un effet significatif (4,6,10,11). Certes, la puissance statistique de ces études est souvent limitée, cependant la tendance générale non seulement n'est pas à une augmentation du risque par rapport aux populations témoins, mais inversement, et paradoxalement, la fréquence des cancers semble souvent diminuée comme si les faibles doses d'irradiation avaient un effet protecteur à cause de la stimulation des mécanismes de réparation. Il est donc impératif de lancer des études pour confirmer l'effet des très faibles doses, ce qui est possible aujourd'hui. Il faut, notamment, vérifier l'absence d'augmentation de l'incidence des effets génétiques et des cancers dans les régions à forte radioactivité naturelle ; cette tâche pourrait être effectuée en quelques années
et donnerait enfin la possibilité d’asseoir l’évaluation des effets des faibles doses sur des données épidémiologiques indiscutables.
On n'a jamais observé, chez l'homme, d'effets génétiques provoqués par les rayonnements ionisants, même pour des doses relativement élevées (Hiroshima et Nagasaki, irradiations thérapeutiques) (10,11). Leur existence est extrêmement improbable aux doses minimes considérées ci-dessus, même en cas d'accident.
Ainsi, même si l'existence de risques pour les doses de l'ordre d'un mSv ou inférieures ne peut pas encore être formellement exclue, tout donne à penser que plus la dose est petite, plus l'existence d'un risque devient improbable. Il faut donc considérer avec une extrême prudence la validité de la relation linéaire sans seuil pour évaluer les risques des irradiations causées par l'énergie nucléaire. Dans le monde, les doses liées au nucléaire ont été évaluées, selon les pays, entre 0,001 et 0,03 mSv soit entre 1/1000 et 1/100 de l'irradiation naturelle (4). En France, elles sont d'environ 0,015 mSv/an (4). De plus, elles sont délivrées à très faible débit, ce qui réduit l'éventualité d'un effet. Les tenants des extrapolations linéaires remarquent que celle-ci a l'intérêt d'indiquer la limite supérieure du risque. D'autres soutiennent que cette limite supérieure n'a guère de sens puisque les doses considérées sont cent mille fois plus faibles que celles pour lesquelles le risque a été mesuré et dix mille fois plus petite que la dose la plus faible que celle pour laquelle un effet a été détecté. Pour montrer ce que signifie une telle extrapolation, faisons une comparaison avec le tabac. L'augmentation de la fréquence du cancer du poumon est mesurée avec précision chez les fumeurs ayant consommé 15 cigarettes/jour pendant 30 ans (soit environ 180 000 cigarettes). Extrapoler ce résultat pour une dose 100 000 fois plus faible reviendrait à calculer le risque induit par la fumée inhalée, trente ans auparavant, au cours d'un repas dans un restaurant fréquenté par des fumeurs (l'équivalent d'une à deux cigarettes). Ou encore, pour rester dans le domaine des rayonnements ionisants, cette extrapolation consisterait à estimer le risque causé par un séjour une fois pas an d'une journée et demi en montagne ou dans une région granitique (Bretagne, Vosges ou Massif Central), séjour au cours duquel un Parisien reçoit une dose supplémentaire de 0,015 mSv.
La quasi-totalité des spécialistes (6) pensent qu'en pratique, les risques peut être négligés au dessous d'une certaine dose. Comme le dit le Président de la CIPR « quand une dose est triviale pour un individu, elle est triviale pour une population ». On devrait donc rejeter l'usage des doses collectives dans le calcul des effets de très faibles doses et a fortiori pour évaluer les risques pour les générations futures. Les débats au sein de la communauté scientifique portent sur la dose au dessous de laquelle les effets pourraient être considérés comme négligeables : pour certains moins de 1 mSv/an soit le centième de la dose la plus faible pour laquelle un effet biologique a été observé et le dixième de la variation de la dose d'une région à l'autre de la France ; d'autres placent la barre à 0,3 mSv/an. Ces controverses stimulent la recherche et les réflexions. Les positions de l'UNSCEAR et l'ICRP ont été discutées par plusieurs organismes, notamment en France par l'Académie des Sciences et par l'Académie de Médecine et aux Etats-Unis par l'Académie Nationale des Sciences de Washington' Le cheminement de la science s'est toujours fait à travers des débats contradictoires qui sont l'expression des incertitudes de la science mais aussi de la vitalité de la démarche scientifique, puisque ces débats se terminent dès que des faits probants sont établis, ce qui met fin aux polémiques.
En attendant, étant donné l'ampleur des imprécisions introduites par l'utilisation sans précaution de la RLSS, plusieurs solutions ont été préconisées :
a) Utiliser une relation linéaire quadratique, mais en reconsidérant la pente initiale, celle correspondant aux très faibles doses (13). Une relation linéaire quadratique avec une pente initiale très faible est, en effet, compatible avec la plupart des données.
b) Introduire une dose limite au-dessous de laquelle les irradiations ne seraient pas prises en compte (4) ou seraient comptabilisées indépendamment, de façon à ne pas mélanger les effets qui sont concevables avec ceux qui sont extrêmement improbables. Cette dose limite pourrait être, comme on l'a vu, de 0,3 mSv ou de 1 mSv.
Il ne faut, en tout cas, pas confondre la valeur probable du risque avec l'évaluation effectuée avec des hypothèses volontairement pessimistes pour les besoins de la radioprotection, et destinées à fournir la limite supérieure du risque. L'évaluation des risques à 1000 ou 100 000 ans sur les bases aussi incertaines mérite également un avertissement car les imprécisions méthodologiques s'aggravent quand les évaluations sont faites sur une longue période. Or un récent travail effectué en Belgique signale que le risque du nucléaire passe de 4,7 mЄ à 22,6 mЄ quand on passe d.une évaluation de risque sur 10 000 ans à une évaluation sur 100 000 ans. Quel est le sens de telles évaluations ? Il faut à cet égard, signaler l'excellente initiative qui distingue les risques de cancers sur les 100 prochaines années, de ceux calculés pour des périodes ultérieures (fig 1, réf 4).
Biais dans la comparaison des risques.
L'évaluation des risques est un exercice auquel les radiobiologistes et autres spécialistes de la radioprotection se livrent depuis plus de 70 ans. Aucun autre risque n'est mieux connu que celui des rayonnements ionisants et l'exhaustivité des études faites dans le domaine du nucléaire constitue un exemple. Les données sont beaucoup moins approfondies dans les autres filières, qui n'ont pas eu besoin de se justifier comme par exemple l'extraction et la combustion du charbon.
La comparaison entre les méthodologies utilisées pour le nucléaire et les combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz) (5) met, de ce fait, en évidence plusieurs sources de biais :
Facteur temporel : limitation de la prise en compte des effets nocifs à dix ans pour les combustibles, alors qu'on effectue des calculs à 100 ans, 1000 ou 100 000 ans dans les cas des produits radioactifs. Cette différence introduit un biais considérable, d'autant moins justifié que la radioactivité décroit tandis que nombreux sont les produits chimiques qui restent stables et nocifs pour l'éternité (métaux lourds, etc..).
Facteur spatial : l'espace pris en compte pour quantifier la toxicité des produits chimiques est l'air balayé en 4 jours, soit 1 000 km autour de la source alors que c'est la totalité du globe pour les produits radioactifs.
Type de pollution : non prise en compte des génotoxiques et des cancérogènes pour les combustibles, notamment pour le gaz. Prise en compte pour les produits chimiques uniquement de la pollution de l'air, en négligeant la pollution du sol et de l'eau alors l'exhaustivité est très poussée pour le nucléaire.
Devant ces différences de méthodologies, on devrait au moins spécifier que, dans le cas de l'énergie nucléaire, les évaluations correspondent à la limite supérieure des risques et parallèlement souligner la possibilité d'une sous-estimation pour les risques des combustibles. Celle-ci est sans doute due à un déficit de données qui contraste avec l'extrême minutie des travaux concernant le nucléaire. Les analyses pourraient aussi, dans les deux cas, mettre en évidence les recherches qui devraient être entreprises pour confirmer la validité des hypothèses introduites dans les modèles utilisés. Ne pas tenir compte des risques pour lesquels on manque de données peut se comprendre mais encore faudrait-il entreprendre les recherches nécessaires pour y pallier. Il faut se méfier du syndrome du réverbère (ne rechercher des clés perdues que sous le réverbère).
Pour ce qui est des énergies renouvelables, les travaux ne font que commencer et doivent être approfondis, notamment en ce qui concerne l'amont (construction des dispositifs, notamment pour le solaire), les effets sur l'environnement (éoliennes) et l'aval.
Facteurs psychosociologiques : la perception des risques.
Une des raisons pour lesquelles un effort méthodologique suffisant n'a pas été fait est qu'il est devenu à la mode de dire que l'estimation quantitative des risques effectuée avec des méthodes scientifiques n'a que peu d'impact sur l'opinion et que les choix des hommes politiques sont influencés essentiellement par les risques perçus. Sans remettre en cause l'importance fondamentale des représentations (14), cette vision ne correspond pas à ce qu'enseigne l'histoire (15,16). De 1946 au milieu des années 1950, pendant une dizaine d.années, l'énergie atomique a été très populaire : le public y voyait la promesse d'une énergie abondante et à bon marché et des articles dithyrambiques saluaient dans les journaux à grand tirage (France Soir) chaque progrès effectué dans ce sens. Des grands organismes étaient créés avec un fort soutien populaire pour développer l'énergie atomique, en France (Commissariat à l'Energie Atomique), comme en Europe (Euratom) et à l'intérieur des Nations Unies (l'Agence Internationale de l'Energie Atomique à Vienne). Or on n'ignorait pas, à cette époque, l'effet cancérogène des rayonnements ionisants : 400 pionniers de la radiologie étaient morts victimes des rayonnements reçus et les leucémies provoquées par des explosions atomiques étaient largement connus. En réalité, l'opinion publique a basculé vers la fin des années 1950 sous l'influence d'autres facteurs : d'une part les campagnes effectuées dans le cadre de l'appel de Stockholm par Staline et ses successeurs qui, pour ralentir le développement des armes atomiques à l'Occident, avaient pour but d'engendrer une phobie de toute irradiation. D'autre part l'introduction de la relation linéaire sans seuil à la fin des années 1950 qui a postulé, pour des raisons de simplification administrative, que toute dose, si faible fut-elle, faisait courir un risque, ce qui a donné un fondement apparemment scientifique à ces craintes. Les études effectuées alors (15,16) prouvent que la perception des risques n'est pas innée, elle est le fruit de ce que chaque sujet a entendu (14), des campagnes de communication, quels que soient les groupes ayant été à leur origine ou les raisons pour lesquelles celles-ci ont été lancées (intérêts économiques ou idéologiques). On l'a vu à propos des OGM ou de Tchernobyl. C'est pourquoi dans toute prise en compte des facteurs psychosociologiques (l'aversion au nucléaire), il faut être extrêmement prudent puisque l'évolution des réactions depuis 1946 montre à quel point l'opinion du public est influençable (14,15,16,17). Rectifier les inexactitudes, faire reculer les incertitudes réelles ou exagérées (comme pour les déchets) qui peuvent être exploitées pour angoisser les populations, établir sur des données précises et objectives les avantages de l'énergie nucléaire pour la santé et montrer que son intérêt ne se limite pas à l'environnement (effet de serre), et à l'équilibre de la balance commerciale, pourrait à la longue faire changer de représentation ; mais la perception des risques n'évolue que très lentement et l'unité de temps est non l'année mais la décennie (14). Les représentations actuelles sont le fruit des campagnes qui ont débuté il y a vingt ans. Un effort d'information et d'éducation est donc indispensable mais il n'obtiendra des résultats qu'à long terme.
Dans une démocratie moderne, un large débat public aura nécessairement lieu autour du nucléaire et des autres sources d'énergie, mais il n'aura de valeur que s'il est précédé d'une information. Les réactions du public dépendent des informations qui lui ont été données au cours de la ou des décennies précédentes. On sous-estime souvent l'impact de l'opinion sur la position des experts, mais inversement, il ne faut pas sous-estimer l'impact des experts sur l'opinion quand celle-ci est convenablement informée.
Dans ce cadre, les conférences citoyennes peuvent jouer un rôle utile car on y fait l'effort d'informer des citoyens tirés au sort (comme pour un jury de Cour d'Assise) et de mobiliser, pour eux, un nombre suffisant d'experts qui répondent à leurs questions et leur donnent toutes les informations nécessaires. Ces conférences demandent de longues préparations et requièrent une grande rigueur.
L'efficacité des campagnes de désinformation est illustrée par les campagnes sur Tchernobyl. Au moment même où le bilan remarquablement précis du Comité Scientifique des Nations Unies (l'UNSCEAR), fondé sur dix ans de travail, montrait que les conséquences de l'irradiation étaient limitées (18), de gigantesques campagnes ont accrédité l'hypothèse, dénuée de fondement, de 10 000 à 15 000 morts.
La démocratie participative décentralisée est à la fois nécessaire et délicate car il faut éviter qu'elle ne favorise la propagation de rumeurs et les réactions subjectives. Dans une démocratie le pouvoir de décision ne peut appartenir qu'aux élus de la nation car les organismes non élus sont trop exposés à l'influence de minorités.
En conclusion.
Evaluer la grandeur d'un risque est une tâche difficile mais nécessaire même et peut-être surtout, quand celui-ci est putatif. Les risques avérés doivent être distingués des risques virtuels comme le recommande Adams (19) et être comptabilisés indépendamment. Toute évaluation, comme c'est la règle en science, doit être accompagnée d'une fourchette ou d'un intervalle de confiance. Des efforts doivent être effectués pour d'une part réduire graduellement cette imprécision et d'autre part expliciter clairement les hypothèses et les discuter. C'est une tâche difficile mais qui constitue un préalable à l'information du public et à une évaluation objective des avantages et inconvénients des différentes sources d'énergie. Ce colloque devrait permettre une avancée en ce domaine.
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Figure 1
Légende :
cette comparaison est basée sur les coûts-dommages par tonne de polluant évalués par le projet ExternE de la Commission Européenne : graphique fourni par A. Rabl (France). Pour le nucléaire, le risque est calculé, à partir de la relation linéaire sans seuil, en tenant compte des effets cancérogènes et génétiques provoqués par l.irradiation subie par les travailleurs professionnels et par l.ensemble de la population (soit pendant 100 ans, soit pendant 3 000 ans). Ce type d'estimation surestime notablement les risques dus à l.irradiation à faible dose et donnent une grande marge de sécurité. A l.opposé, ce type de calcul n.est pas utilisé par les agents chimiques génotoxiques et cancérogènes produits par les autres agents.