Wladimir Tchertkoff

 

   

"ENFANTS DE TCHERNOBYL BELARUS"

20 rue Principale, 68480 Biederthal (France)

e‑mail : s.m.fernex@wanadoo.fr

 

La recherche scientifique en relégation

 

 

Youri Bandajevsky

Isolement accentué.  Amnistie incertaine?

 

21 mai 2005

 


 

 

 

Changement de situation.

 

        Youri Bandajevsky continue à supporter l'arbitraire des autorités, l'ignorance et l'incertitude relativement à son sort. Il y a 3 semaines, au moment de commencer sa période de congé, à laquelle il avait droit au bout de onze mois de travail, Youri a eu un entretien cordial avec  le directeur du kolkhoze, qui lui a assuré qu'il pouvait rester travailler chez lui autant qu'il voudrait. Puis, quelques jours plus tard, de but en blanc et sans explications, le directeur lui a signifié que le contrat ne serait pas renouvelé et que de ce fait Youri devait quitter le village, puisque, selon la loi, le lieu de résidence dépend de l'embauche. Pendant une quinzaine de jours d'attente énervante personne ne savait où il irait : des pourparlers étaient en cours avec le président du Conseil régional pour trouver un village qui l'accueillerait. Le directeur du kolkhoze a dit à Galina, que ce n'était pas lui qui avait décidé d'interrompre le rapport, que l'ordre était venu d'en haut. Pourquoi?...

 

Tous ces atermoiements, cette incertitude, la perspective de devoir recommencer sans doute à restaurer et à rendre habitable une nouvelle maison abandonnée, encore hypothétique, n'ont pas changé en mieux le système nerveux de Youri. Galina dit qu'il a maigri et se trouve dans un état de "surtension nerveuse". Extérieurement, il est équilibré,- dit-elle, - mais il se dévore lui-même. Il tourne en rond. Comme une mouche prise dans une bouteille, il revient sans cesse aux mêmes interrogations.

 

A la fin, l'embauche et la nouvelle maison ont été trouvées. Depuis vendredi dernier, 13 mai, Youri habite dans le village de BÉLITSA, à 25 kilomètres au nord-est de Peskovtsy. L'adresse postale est la même, il suffit d'écrire Bélitsa à la place de Peskovtsy. Il n'y a pas de téléphone à proximité. C'est un gros village, qui s'étend sur environ 500 mètres le long du fleuve Niémen, construit sur trois rues parallèles. La maison inhabitée est apparemment en bon état, plus spacieuse que celle de Peskovtsy. L'inconvénient est qu'elle se trouve à la périphérie, loin du centre. Youri ne pourra pas avoir de communications téléphoniques faciles comme à Peskovtsy, où il habitait à deux pas du bureau du kolkhoze, son lieu de travail. Quand on lui téléphonait, la gentille secrétaire l'appelait et au bout de 5 minutes Youri était au bout du fil. Maintenant il est coupé du monde et de sa famille, qu'il pouvait facilement appeler à tout moment.

 

L'autre gros désavantage est représenté par la nature et le lieu du travail. Youri est embauché dans une grande ferme (un millier de vaches) en qualité d'ajusteur outilleur pour le service des appareils de traite mécanique. Les deux horaires quotidiens sont ceux de la traite : 11h - 14h et    21h - 01h. Son étable comprend 300 vaches et un certain nombre de trayeuses, qui travaillent simultanément, chacune responsable d'un groupe d'animaux. Youri doit intervenir quand elles l'appellent pour tout inconvénient mécanique, panne etc. Il a eu un stage de formation de 3 jours et a commencé son travail. La ferme se trouve en dehors du village, à 25 minutes à pied, 40 s'il passe par le centre pour téléphoner ou faire des achats. Les longues marches et la station debout prolongée pendant le travail provoquent des douleurs à ses ligaments malades. Il en souffre pendant la nuit.

 

Le père de Galina a fait ce travail et dit qu'il est très fatigant à cause de la quantité à contrôler, du rythme, des exigences des trayeuses et de l'intense odeur des déchets organiques des animaux. (Quand il entrait dans l'étable, la violence de l'odeur lui coupait le souffle et il souffrait d'allergies.) Youri est responsable du bon fonctionnement de l'ensemble du réseau des appareils de l'étable et doit veiller à leur parfaite propreté. Galina dit qu'il a toujours été très scrupuleux et exigeant pour ce genre de détails. Lors de leur dernière conversation téléphonique, il lui a annoncé qu'il partait pour être à la ferme à 20 heures. "Pourquoi si tôt?" - "Pour contrôler la propreté du matériel."

 

Youri n'a jamais tenu rien d'autre dans ses mains qu'un stylo et un bistouri, dit Galina. Il est vrai qu'il connaît aussi les animaux et leurs odeurs, pour en avoir élevé et étudié des centaines et des centaines, jusque dans son appartement. Mais, la vocation de chercheur, le prestige académique (même s'il n'en faisait aucun cas), sa meilleure santé d'avant l'arrestation en 1999 et la netteté de l'Institut médical qu'il dirigeait étaient des conditions de travail et des motivations bien différentes de celles du "prisonnier personnel du Président" relégué dans une étable, les caoutchoucs dans la bouse, entouré de vaches et de trayeuses fatiguées. Youri Bandajevsky, homme de science, est humilié, affligé et révolté par la perte de temps et de son énergie, alors qu'une contamination nucléaire catastrophique détruit la santé de la population biélorusse.

 

L'élément positif de sa nouvelle situation est représenté par la qualité humaine des propriétaires de la maison, où il vient d'emménager. C'est un jeune couple, qui s'est montré très bienveillant à son égard. L'homme s'est déclaré même "honoré et heureux d'accueillir un professeur dans sa maison". Cela s'explique d'abord par le fait que beaucoup de détenus en relégation vivent et travaillent dans ce village : tous les détenus ne sont évidemment pas des "professeurs" et cet homme trouve qu'il a de la chance. Mais cela témoigne aussi de la lucidité des sujets du régime de Loukachenko quant à la crédibilité de sa justice. Le fait d'avoir à faire avec un soi-disant "criminel" n'a aucune influence sur le style et la qualité des rapports. L'homme a apporté du bois et a chauffé la maison. C'est leur datcha de campagne : ils y cultivent leur potager pendant la bonne saison. Il a dit qu'il viendrait avec sa femme pour arranger le ménage de Youri. Ils apporteront un ballon de gaz pour la cuisinière, et ils ne prendront pas d'argent pour la location de la maison.

 

Amnistie.

 

La loi d'amnistie annuelle, votée par le Parlement biélorusse et publiée le 6 mai, est en vigueur pour une durée de 6 mois. Théoriquement le cas de Youri Bandajevsky est du ressort de cette loi, elle devrait diminuer encore d'une année la durée de sa détention en raprochant sa libération au 6 janvier 2006. Mais les deux avocats qui se sont occupés de son cas, Baranov et Pogoniailo, ont des doutes et sont prudents. L'interprétation de certains articles de la loi est incertaine, paraît-il, elle pourrait offrir quelque prétexte pour ne pas en faire bénéficier Bandajevsky et ne pas le libérer à cette date. Dans ce cas Pogoniailo soumettrait la question à la cour constitutionnelle, qui lui a déjà donné raison dans deux cas. Qui vivra verra.

 

Ceci dit, les réponses des fonctionnaires interpellés sont, pour le moment, plutôt positives. Il y a une quinzaine de jours, M. Heiken de l'OSCE a dit à Galina que Kovtchour, directeur du Comité (rebaptisé Département) d'exécution des peines (DEP), lui a dit que la peine de Bandajevsky sera diminuée d'une année. La direction de la colonie de relégation de son côté a dit à Galina qu'à leur niveau ils proposeront le dossier de Youri pour cette amnistie, mais que la  décision de l'appliquer n'est pas de leur ressort. Enfin, Galina a appelé le DEP. La personne responsable de l'application de cette amnistie aux détenus lui a dit aussi que la peine de Bandajevsky sera diminuée d'un an. Ils attendent les listes des candidats envoyées par les colonies. Toutes ces réponses convergeraient vers la date du 6 janvier 2006. La responsable du DEP a même dit que la colonie pourrait décider de lui appliquer la liberté conditionnelle pour les 7 mois qui restent et le libérer dès l'application de l'amnistie. Ce qui voudrait dire tout de suite (en ajoutant les pertes de temps paperassières). Cependant, dans le cas de Youri Bandajevsky, une douche froide est toujours possible et à prévoir. Ce ne serait pas la première fois. (Ravkov, l'autre condamné, qui a dénoncé Bandajevsky sous les pressions de la police, puis s'est rétracté en lui demandant pardon, a bénéficié de tous les raccourcissements de peine, travaille comme médecin et circule dans une belle voiture. Visiblement, son activité ne dérange pas le sommeil des bureaucrates du ministère de la Santé et des agents du lobby nucléaire.)

 

Lors d'une récente rencontre, l'ambassadeur de France, M. Chmelewsky, a dit à Nesterenko que le maire de Clermont Ferrand souhaite accueillir le professeur Bandajevsky dans sa ville pour le faire soigner. Il faudra voir si le passeport, que le Parquet lui rendra, donnera le droit à Bandajevsky de sortir hors des frontières, tant qu'il n'aura pas restitué "les dollars des pots de vin"… qu'il n'a jamais pris à personne.

 

 

 

W.T.

21.05.2005

 

 

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