Wladimir Tchertkoff

 

 

 

"ENFANTS DE TCHERNOBYL BELARUS"

20 rue Principale, 68480 Biederthal (France)

e‑mail : s.m.fernex@wanadoo.fr

 

La recherche scientifique en relégation

 

 

En pleine illégalité, l'étau se resserre de nouveau

autour de Youri Bandajevsky

 

Février 2005

 

 

Les nouvelles de Youri sont glacées : -26°, la nuit dehors. L'eau gèle dans la chambre, le seau en plastique a claqué. Le vieux poële-four russe fume et ne chauffe pas. Il y a quatre jours, Youri a paniqué. Les sbires sont venus le réprimander sévèrement parce qu'il vit seul, sans personne de la famille avec lui. C'est le règlement, à la discrétion du directeur de la Colonie de Relégation. Beaucoup d'autres détenus vivent seuls, sans problèmes, comme il a vécu jusqu'à maintenant. Ils paissent les troupeaux, quand la saison le permet, s'occupent de travaux divers, deviennent des habitants intégrés dans les villages. Cette réprimande annonce peut-être la volonté de le faire retourner dans la colonie.

 

Galina a demandé à son père de venir passer une semaine avec lui. Il est venu avec la voiture chargée de bois de chauffage, a réparé le poële autant qu'il a pu en cette saison,  mais a dit à Galina que le problème n'était pas là : toute la chaleur s'en va par le haut. Le plafond est fait de planches sans aucune isolation. On entend les rats se balader. Avec la quantité de bois qu'il a ramené, ils chauffent jour et nuit.

 

La semaine prochaine Galina remplacera son père. Après? Après on verra, il faudra trouver des volontaires. Le retour dans la colonie serait une catastrophe du point de vue hygiénique et sanitaire, dit Galina. A Minsk, où il s'est soigné d'octobre à fin décembre, on lui a découvert une métaplasie focale de la muqueuse de l’intestin et de l’estomac lors de nombreuses analyses histologiques d’échantillons de muqueuse d’estomac obtenus par biopsie. La métaplasie de la muqueuse de l’estomac est considérée comme une maladie précancéreuse. Selon les données des statistiques dans le domaine médical cette maladie se transforme rapidement en cancer de l’estomac si elle n’est pas convenablement traitée et suivie par les médecins. Ce mal suppose qu’il faut procéder une fois tous les trois mois à une fibro-gastroscopie diagnostique de l’estomac avec biopsie de la muqueuse, à des consultations chez l’oncologiste et le gastroentérologue. Bandajevski est actuellement traité par des ferments de remplacement sans lesquels sa nourriture n’est ni digérée, ni absorbée. En outre, Youri aurait besoin d'un diagnostic sérieux dans une clinique spécialisée pour la question des tendons et des ligaments. Deux ans dans la colonie, à 6-8 détenus dans une chambre, c'est le risque de l'invalidité.

 

 Youri vient d'avoir un entretien du genre tendu avec le président du kolkhose, qui l'emploie, rentré de vacances. Cet homme a peur et n'est pas heureux d'avoir ce genre de client.

Pendant le week-end, Galina a écrit à Loukachenko et au Ministre de l'Intérieur, leur demandant de remettre de l'ordre dans les illégalités commises par leurs subordonnés; elle a rédigé la réponse au Comité des Droits de l'Homme de l'ONU et s'est adressée avec un appel à la presse occidentale. Tout cela fait sourire Youri, qui n'écrirait aucune de ces lettres. Il sait qu'il devra durer encore deux ans et s'organise pour résister dans sa tranchée. Il a demandé à Galina certains livres et des revues pour re-travailler entre autres choses ses conférences, celles du temps où il donnait des cours. Moralement, avec des hauts et des bas, il résiste bien. Mais Galina s'obstine, en me citant en russe le vieux proverbe latin "gutta cavat lapidem non vi sed saepe cadendo" (goutte à goutte la perre se creuse non par la force, mais par la fréquence de la chute). Il faut continuer, dit-elle. Je l'ai remerciée en lui disant que c'est ce que nous faisons depuis cinq ans et que nous continuerons.

 

La commission de la colonie de relégation, qui s'est réunie le 31 janvier pour refuser, sur ordre venu d'en haut, la liberté conditionnelle à Youri Bandajevsky, a caractérisé le détenu comme une personne franche et sincère et a jugé qu'il a démontré par son comportement d'être sur la voie de l'amendement. C'étaient les condition nécessaires et suffisantes, formellement requises par la loi, pour transmettre au tribunal la demande de liberté conditionnelle. Le refus s'est basé sur deux arguments illégitimes, car ils n'étaient pas du ressorte de cette commission : la non-reconnaissance de la culpabilité et le non-paiement de l'amende de 35 483 819 roubles. Seul un tribunal pouvait éventuellement se prévaloir de ces arguments. Éventuellement, car en principe ces conditions sont celles de la grâce présidentielle et non celles de la liberté conditionnelle, qui découle automatiquement des deux tiers de la peine purgée.

 

Le lendemain de la réunion, le 1er février, le directeur des prisons biélorusses, Kovtchour, a répondu à Galina, qui, le 20 janvier, sollicitait la liberté conditionnelle. Dans sa réponse il dit le contraire de ce qui est écrit dans le procès verbal de la commission, que Banajevsky a lu et signé: "Il a été décidé de refuser la soumission au tribunal de la demande de  libération conditionnelle pour la raison que le détenu n’a pas suffisamment fait ses preuves dans les conditions du régime de la colonie de relégation pour que l’on puisse admettre qu’il se soit corrigé." Et pour justifier cette affirmation il ajoute un argument extravagant : "le 30 janvier 2005 [Bandajevsky] avait de fait purgé 4 mois en colonie de relégation." En réalité Bandajevsky, entré le 29 mai 2004 en relégation, avec 5 mois de retard sur son droit!, avait passé 7 mois à la colonie de Guesgaly. Kovtchour soustrait les 3 mois, que Bandajevsky a passés dans les hôpitaux de Minsk pour les analyses et pour l'opération à la demande même du Directeur de la Colonie Pénitentiaire. Cette soustraction est à la fois contraire à la loi, qui ne décompte pas le temps des soins de celui de la relégation, et rend illégitime la commission elle-même, réunie de ce fait avant terme. Kovtchour continue ses justifications, en affirmant "Cette décision, prise par l’administration de la colonie-relégation est légale et justifiée." - comme s'il en sentait lui-même la fragilité (car personne n'avait encore eu le temps de contester cette décision). Au total, en pleine illégalité, l'administration carcérale a volé de fait 8 mois de relative liberté à Bandajevky, qui lui revenait de droit. Leur propre loi ne leur suffit pas. Le ministre de l'Intérieur devrait y mettre de l'ordre.

 

En ce qui concerne la santé, dans sa réponse à Galina, Kovtchour la balaye du revers de la main : "Conformément à l’article 186 (point 6) du Code d’exécution pénale de la République du Bélarus, le détenu peut être libéré de l’exécution de sa peine pour raison de maladie grave. Or les maladies mentionnées dans sa fiche médicale ne peuvent servir de fondement pour lui appliquer l’article 92 du Code pénal de la RB ." Les ordres sont les ordres.

 

En réalité, l'état de santé  de Bandajevsky reste inquiétant  et requiert des soins appropriés et une surveillance particulière. Le 8 février, Galina, dans sa lettre au ministre de l'Intérieur, Naumov, le résume ainsi : « En novembre 2004 Youri Bandajevski a été opéré pour rupture du tendon du biceps de l’épaule gauche sans que l’on ait pu déterminer la cause de la détérioration des ligaments. La lésion de l’appareil ligamentaire se manifeste également à hauteur des articulations tibio-tarsiennes. La marche est entravée et douloureuse. Selon le traumatologiste ce processus peut conduire à l’atrophie et à la rupture des tendons même lors d’un effort physique insignifiant. Ces altérations pathologiques dans l’organisme sont dues à un trouble du métabolisme mais pour pouvoir traiter correctement ce mal et aider réellement le malade il faut commencer par en déterminer la cause. Cependant Bandajevski ne dispose pas de cette possibilité aujourd’hui. Seule une commission médicale après un examen approfondi pourrait définir la gravité de son état.».

 

1°) Face à cette situation nous pensons que la meilleure cible  d’une action est le Ministre de l’Intérieur NAUMOV. C’est pourquoi  nous proposons une avalanche de lettres individuelles à partir du texte ci-joint (Lettre à Naumov) élaboré par les associations qui l’ont cosigné. D’autres associations peuvent s’y ajouter. Vous pouvez aussi l’envoyer sans les logos des associations... Il suffit d’imprimer le texte, de  compléter avec  sa propre adresse, de signer et de l'expédier par la poste (O.75 cents).

 

2°) Parallèlement, Galina a fait un appel aux médias occidentaux, en joignant la lettre qu’elle a  adressée au Président Loukachenko. Que chacun sollicite les médias qu’il lit pour demander qu’il y ait de l’information sur Bandajevsky, en leur envoyant les nouvelles de Relégation et le contenu de l’action que nous proposons. Si cela vient d’un peu partout, ils seront peut-être moins sourds

 

3°) Il serait bon de recontacter tous les politiques qui peuvent, en particulier par des questions au Parlement, relancer l’affaire de manière publique.

 

Appel  de Galina

 

Le même jour, Galina  Bandajevskaïa se tourne vers les médias occidentaux pour dénoncer l'acharnement à l'égard de son mari, reconnu par Amnesty International et de nombreuses associations comme un «prisonnier  d'opinion». Elle nous charge de faire parvenir aux médias occidentaux sa lettre au Président Loukachenko.

 

Moi, Galina Bandajevskaya, je m’adresse aux médias occidentaux pour les prier de publier la lettre que j'adresse au Président du Bélarus, Alexandre Loukachenko. Elle ne pourra lui parvenir qu'à travers la presse. Toutes les lettres que je lui ai adressées jusqu'à présent ne sont jamais arrivées jusqu'à lui. C’est la situation désespérée à laquelle a été acculé mon mari, le détenu Youri Bandajevszki, professeur en médecine, et toute notre famille, qui me contraint de m’adresser à vous. Ayant perdu tout espoir de voir triompher la justice et de pouvoir défendre mes droits dans mon pays, je vous prie de faire connaître à la communauté internationale les actes d’arbitraire perpétrés à notre égard.

 

Galina Bandajevskaya

Minsk, le 8 février 2005

 

 

Honoré Alexandre Grigoriévitch !

 

            Voilà 5 ans que je m’adresse à vous personnellement au sujet de l’affaire de mon mari, Youri Ivanovitch Bandajevski, avec l’espoir de trouver en la personne du Président de mon pays un défenseur des droits de l’homme. Cependant votre administration ne m’a jamais fait l’hommage de pouvoir être entendue par vous, honoré Alexandre Grigoriévitch. J’aimerais croire que cette lettre sera lue par vous personnellement.

           

A la télévision je vous ai entendu admonester vos subordonnés, leur reprochant d’utiliser trop souvent votre nom comme un drapeau, comme une couverture lorsqu’il faut prendre des décisions. Aussi ai-je décidé de vous informer de la façon dont sont violés les droits de l’homme, garantis par la Constitution du Bélarus et dont, en tant que Président, vous êtes le garant, dans l’affaire de mon mari Y.Bandajevski.

           

Youri Ivanovitch Bandajevski a été arrêté par les forces de l’ordre le 13 juillet 1999. Sur mandat du Procureur général on lui a appliqué la mesure de détention préventive de 30 jours prévue par le Décret du Président de la République du Bélarus N°21 du 21 octobre 1997 « Des mesures d’urgence dans la lutte contre le terrorisme et autres crimes violents particulièrement dangereux ». Je voudrais souligner que Bandajevski Y.I. était soupçonné du délit prévu à l’article 430 ch.2 du Code pénal de la République du Bélarus : « Corruption passive », ce dont témoigne l’acte d’accusation. Ce délit n’a rien à voir ni avec le terrorisme ni avec tout autre crime violent et particulièrement dangereux.

           

La détention préventive de 30 jours prévue par le Décret N°21 du Président de la République du Bélarus n’a jamais été appliquée, que je sache, dans des affaires de corruption.

           

En appliquant illégalement le Décret N°21 à Bandajevski Y.I., l’organe chargé de l’enquête l’a sciemment privé de son droit à la défense. La maison d’arrêt spécialisée de la ville de Gomel où Bandajevski est resté en garde à vue du 13 juillet 1999 au 04 août 1999 n’est pas prévue pour y garder les prévenus. La cellule de garde à vue n’avait pas de lit, il fallait dormir par terre, il n’y avait aucun droit de visite ni pour la famille, ni pour l’avocat.

           

Voici le tout dernier exemple des actes arbitraires commis à l’égard de Bandajesvski. Le 16 décembre 2004 l’Etat avait répondu au Comité des Droits de l’Homme à Genève : « Conformément à l’article 90 du Code pénal de la RB, après le 6 janvier 2005 l’administration de l’établissement pénitentiaire est tenue d’examiner la question de la possibilité d’adresser au tribunal une requête demandant l’application à Youri Bandajevski  de la libération conditionnelle. La décision définitive concernant la libération conditionnelle est du ressort du tribunal ».

           

La Commission de la colonie-relégation N°26 s’est réunie le 31 janvier 2005 et a examiné la question de la possibilité d’accorder la libération conditionnelle au détenu Bandajevski. « Il a été décidé de refuser la soumission au tribunal de la demande de  libération conditionnelle pour la raison que le détenu n’a pas suffisamment fait ses preuves dans les conditions du régime de la colonie de relégation pour que l’on puisse admettre qu’il se soit amendé (le 30 janvier 2005 il n’a de fait purgé que  4 mois en colonie de relégation,et il  n’a pas la moindre intention de rembourser le dommage de 35 483 819 roubles qui lui a été imputé) »

           

Le texte montre bien que la commission justifie en premier lieu son refus de soumettre la requête de libération conditionnelle au tribunal par le fait que le détenu n’a pas purgé entièrement sa peine car au 31 janvier 2005 il n’avait passé que 4 mois en relégation au lieu de 7. Le détenu Y.Bandajevski s’est effectivement trouvé pendant 3 mois en dehors de la colonie avec l’accord et sous le contrôle permanent du directeur de la colonie Koliada V.V. car il a du subir une opération chirurgicale puis un traitement à Minsk où sa famille a son domicile permanent. La Commission en déduit que le détenu n’a pas suffisamment montré qu’il s’était amendé dans les conditions de la colonie-relégation. Ce refus va non seulement à l’encontre des lois de la Constitution et du Code civile de la République du Bélarus mais à l’encontre de l’humanité la plus élémentaire.

           

Il est dit à l’article 90 du Code civile de la RB : après que le détenu aura  purgé de fait les deux-tiers de sa peine, la colonie-relégation est en droit de requérir auprès du tribunal l’adoucissement de sa peine. Si l’administration de la colonie-relégation N°26 considérait que Bandajevski n’avait pas purgé de fait le temps de peine prévu, elle n’avait pas à réunir la Commission. Il s’avèrerait donc qu’elle aurait réuni la Commission avant terme sciemment, en violant l’ar.90 du code, dans le seul but de pouvoir justifier son refus.

           

Si on se réfère au Code pénal, on voit clairement que cet argument de la Commission est un faux argument car le temps passé par le détenu hors de la colonie pour raison de traitement en hôpital est compté dans son temps de peine.

           

La colonie a présenté à la Commission une attestation du détenu Bandajevski qu’on lui a fait lire personnellement. L’attestation dit que Bandajevski avance fermement dans la bonne voie de l’amendement et se distingue par une grande sincérité. Où est donc la vérité ? La direction de la colonie-relégation explique sa façon d’agir par votre réponse à la demande de grâce du condamné Bandajevski. Pourquoi n’est-ce pas le tribunal qui décide en dernier ressort ? Tous doivent être égaux devant la loi. L’article 90 du Code civil de la RB a été appliqué à nombre de détenus, en particulier à Ravkov V.N., condamné dans la même affaire que Bandajevski. Avec Ravkov la loi a été strictement appliquée mais lorsqu’il s’agit de l’affaire Bandajevski, on se couvre toujours du nom du Président.

           

Honoré Alexandre Grigoriévitch, je vous prie en tant que garant de la Constitution et Président de notre pays chargé de contrôler l’application des lois,  de décider en toute justice de la libération conditionnelle de mon mari.  Lorsque vous déciderez du sort du professeur Youri Bandajevski, je vous prie de prendre en compte son très mauvais état de santé (deux opérations chirurgicale en 2003 et 2004, ulcère à l’estomac, gastrite atrophique chronique avec métaplasie de la muqueuse de l’estomac).

 

Veuillez croire ....

Galina Bandajevskaya

08.02.2005

 

Tous ceux qui le soutiennent s’accordent sur ce point : c’est en tant que scientifique et pour le contenu de ses recherches que Youri Bandajevsky a été mis en prison, de manière illégitime et illégale. Le procès, avec ses irrégularités, a permis de le mettre hors de la communauté scientifique, en jetant à la fois le soupçon sur l’homme et en détruisant la plus grande partie de ses données scientifiques. C’est pourquoi nous devons tout faire pour l’aider à réintégrer cette communauté scientifique, et en particulier obtenir qu’il ait une totale liberté de circulation dès la fin de sa relégation. Seule, une mobilisation des scientifiques au niveau international, jointe à celle des politiques et des citoyens pourra nous permettre d’atteindre ces nouveaux objectifs.

 

NB. Une précédente lettre au Ministre Naumov a été adressée a certains destinataires. Elle a été modifiée, suite aux nouvelles informations parvenues entre-temps.

 

 

***