http://www.comite-bandajevsky.org
Wladimir Tchertkoff
"ENFANTS DE TCHERNOBYL BELARUS"
20 rue Principale, 68480 Biederthal (France)
e‑mail : s.m.fernex@wanadoo.fr
La recherche scientifique en relégation N°3
Oublier Bandajevsky?
Décembre 2004
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Aujourd'hui, Youri Bandajevsky, prisonnier scientifique au Belarus, qui a accusé voici cinq ans le pouvoir de son pays d'irresponsabilité dans la gestion des retombées radioactives sur la santé des populations et de cacher la véritable ampleur de la catastrophe sanitaire causée par l'explosion de Tchernobyl, est isolé, miné dans sa santé, privé de dignité et de moyens d'existence.
Pour neutraliser cette source d'informations incontrôlable, les forces coalisées contre la révélation des vraies conséquences pour la santé des populations de la catastrophe nucléaire ont commencé par arracher Bandajevsky à son milieu naturel de chercheur scientifique et ont tenté de le faire plier par la calomnie, par la torture, par la prison. Il a résisté. Aujourd'hui, sa situation de paria sans droits dans le no man's land de la relégation peut s'avérer plus dangereuse que la prison : la direction était directement responsable de la santé du prisonnier. Bandajevsky n'est plus protégé par personne et, depuis l'été dernier, la répression du régime a pris une forme plus sournoise et plus dure.
Ce qui n'a pas marché il y a cinq ans, - l'élimination discrète du scientifique gênant dans les cachots de Loukachenko, - ses adversaires semblent vouloir l'obtenir aujourd'hui. Effacer, faire oublier Bandajevsky. L'opinion publique internationale a été rassurée par sa sortie de prison et par la gentillesse de la direction du camp de relégation, qui lui a permis de s'installer dans une maison abandonnée d'un village voisin. Mais le proscrit est toujours interdit, exclu de la société et du travail scientifique. Il est coupé du monde. Sauf un cas exceptionnel, on lui interdit de rencontrer des journalistes étrangers, en le menaçant de le renfermer dans le camp s'il n'obéit pas (seul Le Figaro a été autorisé en période pré-electorale biélorusse). La communauté scientifique internationale dans sa grande majorité reste indifférente à son sort et ne s'intéresse pas à ses recherches, les seules pourtant qui aient étudié de façon globale, - clinique, histologique et expérimentale, - les conséquences sanitaires de la plus grande catastrophe nucléaire de l'Histoire sur les lieux mêmes de l'accident. Des opérations ambiguës, ostensiblement généreuses d'aide aux populations contaminées, "occupent" subrepticement le terrain dans le cadre d'un Programme financé par l'Union Européenne (CORE). Elles recueillent des données (CEPN), s'occupent de mémoire et de patrimoines perdus ("Patrimoine sans frontières"), font de la sociologie (Lasar), promettent l'aide économique, mais pour rester finalement sourdes et aveugles devant la gravité sanitaire causée par la radioactivité, surtout chez les enfants, les victimes les plus vulnérables. Ce Programme refuse d'appliquer un moyen simple et peu coûteux pour protéger les centaines de milliers d'enfants malades et mourants dans les territoires contaminés du Belarus. L'ONG "Médecins du monde", qui sert d'alibi médical à l'opération CORE, déprécie et minimise l'intérêt et l'importance des travaux de Bandajevsky et ne reconnaît pas l'urgence de distribuer à grande échelle aux enfants contaminés les adsorbants prophylactiques à base de pectine préconisés par le professeur Nesterenko, sous le prétexte que les travaux de ce deux scientifiques n'ont pas été publiés dans des revues sérieuses. [Ce qui est faux depuis les publications sur "Cardinale" (Tome XV - n°8 - Octobre 2003) et sur Swiss Medical Weekly www.smw.ch (Vol 133, p 488; Vol 134, p 24; et dans le Volume sous presse : Bandajevskaya, Maladies cardiovasculaires des enfants liées à une surcharge en Cs-137)]. L'étude randomisée, double aveugle versus placebo, réalisée selon les normes occidentales (comité d'éthique, consentement informé, etc) et publiée dans Swiss Medical Weekly, montre en effet que les cures de pectine de pomme, prises aux repas pendant 3 semaines, parviennent à réduire de 2/3 la charge en Cs-137 accumulé dans l'organisme. Des mesures, réalisées par ailleurs par l'Institut Belrad de Nesterenko, ont montré qu'avec 3-4 cures dans l'année, on obtient une diminution de la charge en Cs-137 au dessous des limites que Bandajevsky considère comme cause de dommages tissulaires irréversibles, soit 30 Bq/kg de poids. Les mesures associées aux cures coûtent 110 euros par enfant et par an. 500 000 enfants du Bélarus en ont besoin. 80% des enfants du Belarus sont malades suite à la catastrophe de Tchernobyl. Les enfants malades n'étaient que 20% avant 1986 : données officielles du ministère de la santé. [Déclaration du Président de l'Académie des sciences du Belarus, en décembre 1999, confirmée par le Vice-ministre de la santé du Belarus à l'audition parlementaire sur les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl, en avril 2000.]
Le plus inquiétant dans ce contexte d'isolement, de dénégation et de dénigrement systématique est que la santé de Youri Bandajevsky s'est soudain détériorée, après une période de force et d'euphorie à la sortie de prison. En trois semaines il a perdu 4 kilos, il a vieilli, la mère de Galina Bandajevskaya a dit au pire moment de sa crise que, si elle l'avait croisé dans la rue, elle ne l'aurait pas reconnu. Il se plaint de douleurs à l'estomac, au foie, aux reins, il a des problèmes inflammatoires (bursite solide) aux tendons d'Achille, une déchirure ligamentaire au biceps. Galina parle d'une brusque désagrégation de l'état de santé global de Youri. Est-ce la prison qui a ruiné sa santé? S'agit-il d'une infection inconnue?
Ayant perdu tous ses droits, n'ayant plus un domicile, Bandajevsky ne bénéficie de soins gratuits… qu'au camp de relégation ou dans un dispensaire. Se rendant compte de son état, la direction du camp l'a bien autorisé d'aller se soigner à Minsk, mais à ses frais. Les soins, l'hospitalisation, les médicaments, les opérations, les narcoses coûtent cher, mais Bandajevsky n'a pas de travail. Ses pairs de la communauté scientifique ont peur de ce pestiféré : personne ne se risque à lui donne un travail rémunéré dans sa profession, où pourtant il est maître. Ni consultations, ni conférences, ni recherches évidemment, qui requièrent laboratoires et financements. Pire, trois grands professeurs consultés, ses collègues, ont refusé de voir ce malade et n'ont pas osé intervenir afin qu'il soit hospitalisé gratuitement… pour se protéger eux-mêmes. Une grande peur règne dans le pays, m'ont dit les Bandajevsky hier. "Les amis ont peur, il ne faut pas les juger."
A Minsk Youri a consulté des spécialistes pour les tendons et pour la rupture du ligament au biceps du bras gauche, et il a été examiné au dispensaire, mais au bout de 7 jours, sans attendre les résultats de la biopsie du foie et de l'estomac on l'a fait hospitaliser pour soins immédiats. Le compte rendu des analyses du dispensaire parle, entre autres, d'hépatite chronique d’étiologie non précisée. Mais Bandajevsky n'avait pas d'hépatite avant son arrestation. Il a été opéré à l'épaule. L'opération s'est bien passée, son bras est sous plâtre pour 4 semaines, mais il a dû quitter l'hôpital avant le terme prescrit par les médecins par manque d'argent. On ignore la cause des déchirures ligamentaires répétées dont il souffre. Cette maladie qui a conduit Youri à sa dernière opération n'a pas de nom, pas de cause, pas d'étiologie reconnue. Les médecins ont dit qu'elle était très rare. Il est certain que l'incarcération prolongée a nui à la santé du prisonnier. Cet homme dans la force de l'âge a dû subir ces derniers mois des opérations importantes pour des maladies qui ne sont pas apparentées, semble-t-il. De très robuste, Youri est devenu un homme très fragile.
Cependant, il reste fort moralement, déterminé à suivre sa vocation jusqu'au bout. Par devoir et aussi par gratitude pour l'énorme soutien moral qu'il reçoit. Mal à l'aise de devoir "demander", de parasiter sur la générosité de personnes qui doivent elle-mêmes gagner leur pain, Youri souhaite ardemment pouvoir travailler. Aidé par Michel Fernex il soumettra prochainement aux collègues occidentaux un projet de recherche. Les protocoles ont trait à la teratologie (étude des anomalies et des monstruosités des êtres vivants) du Cs-137 chez le rat blanc et le hamster syrien. Il prévoit d'étudier également la protection de la gestation et du fœtus par la pectine, en présence de Cs-137 incorporé. Ces travaux nécessiteront des financements, que nous devrons chercher.
Les frais d'hospitalisation, financés par notre association, en plus des 550 dollars que nous versons à la famille Bandajevsky mensuellement, son les suivants : 342 dollars : l’opération elle-même + bandes, seringues, gants, alcool, perfusion et solutions diverses = 150 dollars ; anesthésie, drogues, analgésiques = 50 dollars ; examens (analyse générale et biochimique du sang, ECG) = 50 dollars ; frais de séjour à l’hôpital (12 dol par jour) = 72 dol.
Merci à tous les amis pour leurs dons. Nous venons de recevoir, ce jour, d'un ami 500 euros!!!
"Enfants de Tchernobyl Belarus"
20 rue Principale, 68480 Biederthal (France)
Compte bancaire: 00029876060, Crédit Mutuel, 68220 ‑ Leymen, France
Lors de chaque conversation, Youri et Galina Bandajevsky, que j'ai appelés hier et aujourd'hui pour rédiger ces nouvelles, me prient de transmettre leur gratutude émue à tous leurs amis connus et inconnus, grâce auxquels leur vie, bien que dure et inquiète, n'est pas triste.
Wladimir Tchertkoff
Le 5 décembre 2004
P.S.
Toute dernière nouvelle, que je reçois ce matin par fax et qui confirme le durcissement du régime au Bélarus. L'article du journal russe "Komsomolskaya Pravda" informe sur la poursuite judiciaire contre Garri Pogoniailo, avocat, défenseur des droits de l'homme et vice-président du Comité Helsinki du Bélarus, qui a déposé la plainte au Comité des Droits de l'Homme des Nations Unies pour violation des Articles 7, 9, 14, 17 et 19 du Pacte international sur les droits civiles et politiques, lors de l'arrestation du professeur Youri Bandajevsky. Cette plainte a été jugée recevable par le Comité des DH, qui devrait se prononcer au printemps 2005.
Garri Pogoniailo menacé de cinq ans de prison