Travaux de Bandazhevsky

Michel Fernex  

31. 03.04


Le curriculum vitae du Dr.Yuri I. Bandajevsky, médecin et anatomopathologiste, indique que sa carrière a débuté à Grodno, où sa thèse d'état et ses travaux expérimentaux dans le domaine de la reproduction, lui ont valu des prix en Bélarus puis à l'étranger. À 32 ans, il était le plus jeune professeur de médecine de l'URSS.
 
L'explosion de Tchernobyl constitue un tournant dans sa carrière. Son sens du devoir l'amène à se rendre à Gomel, la province la plus contaminée par les retombées radioactives, à une période où nombre de médecins abandonnent ce territoire insalubre. Le Gouvernement charge alors Bandajevsky de fonder une faculté de médecine : l'Institut Médical d'état de Gomel dont il devient le recteur. Il s'agit de former sur place des médecin compétants et engagés.
 
Bandazhevsky sélectionne et surtout forme des cadres dont les thèses se rapportent aux pathologies nouvelles rencontrées dans les régions contaminées. Il constate que ces maladies dépendent avant tout de la charge en radiocaesium (137Cs) ou strontium (90Sr) incorporés. En neuf ans, l'Institut aura formé plus de 30 agrégés et quelques 1000 médecins. L'excellence de l'enseignement reconnue partout, attire de nombreux candidats. Bandajevsky est inquiet pour ses étudiants dont la charge en 137Cs dans l'organisme augmente d'année en année.
 
Les travaux de l'Institut médical de Gomel reposent sur l'épidémiologie :
- fréquence de certaines maladies ou complications graves de maladies courantes augmente en fonction de la contamination des sols. Apparition de maladies dégératives de sujets âgés chez des enfants chroniquement irradiés (athérosclérose coronarienne et bronchite chronique)
- mesure du  rayonnement spécifique (137Cs) émis par les sujets malades, voire par des milliers d'enfants de villages contaminés, en collaboration avec le professeur de physique nucléaire, Vassily Nesterenko, de l'institut indépendant Belrad.
- Avec des équipements fournis par Belrad, Bandajevsky mesure lors d'autopsies, la radioactivité émise par le 137Cs pour chaque organe, étudié séparément. Les organes qui accumulent le plus de 137Cs sont les glandes endocrines, le pancréas, le thymus et le coeur. Il décrit les maladies qui en résultent (hypertension, insuffisance cardiaque, troubles endocriniens, stérilité etc., qui surviennent davantage en cas de surcharge en 137Cs. Bandajevsky décrit les dommages cellulaires liés à l'incorporation chronique de ce radionucléide. Les malformations congénitales augmentent avec la charge en 137Cs dans le placenta.
- Bandajevsky contrôle ses observations cliniques et pathologiques, par des expériences chez le rat et le hamster. Les injections ou la prise orale de grains contaminés par le 137Cs entraînent chez ces animaux une charge de ce radionucléide dans certains organes. Il en résulte chez l'animal ainsi traité, des maladies très semblables à celles rencontrées chez l'humain.
 
Trouver le détail de ces données implique la lecture des thèses soutenues à l'Institut médical d'état de Gomel. Les revues traduites en anglais apportent une vue d'ensemble, dans des traductions souvent discutables.
 
 Lors d'une visite dans cette Faculté de médecine, alors qu'elle fonctionnait harmonieusement, j'ai assité à une séance de Faculté, à des cours et des conférences. L'intérêt des étudiants se traduisait par des questions intelligentes lors de conférences.
 
L'institut de pathologie que dirigeait Bandajevsky. possédait des collection d'organes et de tissus et organes prélevés lors d'autopsies, dont la charge en 137Cs avait été mesurée. Bandajevsky montrait que le placenta ne parvient pas toujours à protéger le foetus du 137Cs circulant dans le sang de la mère, d'où souffrance foetale et avec une charge plus importante, des malformations ou un avortement spontanné.
 
Parmi les maldies dégératives nouvelles décrites, pouvant être la cause de mort subite tant chez l'enfant que l'adulte, la cardiomyopathie du césium m'a particulièrement intéressé. Bandajevsky l'a reproduite chez le rat nourri avec des grains contaminés par le 137Cs. Cette maladie rappelle tant du point de vue clinique qu'histologique le béri-béri aigu. Bandajevsky avait provoqué avec un antagoniste de la thiamine des lésions semblables qu'il souhaitait publier.
 
Comme l'orientation des recherches de l'Institut de Gomel contrariait le Ministère de la Santé, il n'y eut aucun financement disponible pour tous ces travaux et leur publication. Dans ce domaine, l'Agence Internationale pour l'Energie Atomique (AIEA) coordonnait le financement. Pratiquement tout l'argent revenait à l'Institut de Recherche Clinique des Radiations et d'Endocrinologie à Minsk. En 1998 cet institut bénéficiait de 17 milliards de roubles BY, comme l'indique l'expertise de Bandajevsky sur les travaux qui ont résulté de ces subventions. (Ce rapport critique serait la cause de l'arrestation du prof. Bandjevsky, d'après Amnesty International). Il est très regrettable que les experts de l'OMS, respectant sans doute les plans établis par l'AIEA, n'ont jamais convié Bandajevsky ni rendu visite à cette Faculté de médecine, pourtant située au centre de la région la plus contaminée après Tchernobyl.
 
 L'arrestation du prof. Bandajevsky en juillet 1999, a mit fin à l'enseignement et aux travaux de recherche. Ses amis ont tenté de publier des textes alors qu'il était en état d'arrestation. Ils ont fait traduire des monographies en anglais que Bandajevsky n'a jamais pu relire ni corriger, et qui, de ce fait, sont très imparfaites du point de vue de la forme et imprécises quant au fond. Toujours est-il que l'arrêt des travaux en cours, en 1998-99, est difficilement réparable, et la publication en Occident des travaux après l'arrestation est difficile pour les raisons suivantes :
 
- les bases de données de l'ordinateur de Bandajevsky ont été confisquées par la police.
- Le Prof. Bandajevsky ne parle parfaitement ni l'anglais ni le français.
- Les conditions d'emprisonnement au goulag ne lui permettent pas de travailler sereinement.
- Les réponses aux questions posées ne trouvent pas de réponse, du fait de la perte des données détaillées, mais aussi du fait de son profond découragement.
 
Ainsi la formulation selon les règles occidentales d'une monographie de grande importance sur le 137Cs et la reproduction que le Prof. Bandajevsky me fait parvenir de la prison n'a pas été possible. Il s'agissait de travaux expérimentaux chez le rat et le hamster, et de leur comparaison avec les observations cliniques. Pour compléter ce manuscrit et préciser certains protocoles, il aurait fallu avoir accès à la base de données, et aussi qu'un dialogue soit possible. Ce sera mon travail dès la libération du Professeur Bandajevsky.
 
 P.S. J'ai été amené à faire un exposé à Rotterdam à la place de Bandajevsky, lors de l'International Symposium "Autoimmune thyroiditis and insulitis, early detection and possibilities for immune intervention, March 14-16, 2002, du fait de l'intérêt que les organisateurs reconnaissaient au contenu de l'abstract : "Chronic caesium accumulation in endocrine glands, and autoimmune thyroiditis and diabetes type I"
 
J'ai également exposé des "posters" de Bandajevsky lors du congrès OMS en 2001 à Kiev :

- Bandazhevsky Yu.I. Incorporated 137Cs and pathology of the thyroid gland. International J. of Radiation Medicine Vol.3: No 1-2, p 10-11, 2001
- Bandazhevsky Yu.I. Radiocaesium and congenital malformations. International J. of Radiation Medicine Vol.3: No 1-2, p 11 2001
- Bandazhevsky Yu.I. & Bandazhevskaia G. Incorporated caesium and cardiovascular pathology. International J. of Radiation Medicine Vol.3: No 1-2, p 11-12, 2001

Le Prof. Nesterenko a lui publié et présenté en séance plénière d'importants travaux en collaboration avec Bandajevsky à ce même congrès du 4-8 juin 2001:

- Bandazhevsky Yu.I. and Nesterenko V.B. 137Cs Measures and public health. J. of Radiation Medicine Vol.3: No 1-2, p 12, 2001
- Bandazhevsky Yu.I., Nesterenko V.B. & Rudak E.A. Medical and biological effects of incorporated 137Cs in radioresistant human tissues. J. of Radiation Medicine Vol.3: No 1-2, p 12, 2001