Allocution à la conférence du 2 Octobre au Musée de la

Résistance et de la Déportation de Grenoble

Maryvonne David-Jougneau


                Tout d’abord une date : le 26 avril 1986, la catastrophe de Tchernobyl située en Ukraine.  La Biélorussie qui en est limitrophe reçoit 70°/° des radionucléides.

L’Institut Gomel

                 En  1990,  Youri Bandajevsky, jeune médecin biélorusse et docteur  en science, anatomo-pathologiste, est nommé à 33 ans, recteur de l’Institut de Médecine de Gomel  avec une double mission : de recherche et de  formation des médecins . 

                Gomel est à 180 Kms de Tchernobyl, en zone  fortement  contaminée et il le sait. Mais depuis 1988 il a déposé plusieurs projets  auprès de l’Académie des sciences et du Ministère de la Santé pour étudier le rôle de la radioactivité sur les systèmes et organes vitaux, entre autres dans la formation de l’embryon. Gomel est donc un lieu où sa double passion de médecin voulant venir en aide aux populations touchées par la contamination et de chercheur voulant en comprendre les mécanismes, va pouvoir s’exprimer.        

                Pendant 9 ans l’Institut va faire un travail remarqué et Bandajevsky  avec ses 240 publications reçoit, au niveau international, cinq prix et médailles pour ses découvertes.

Sa découverte principale

                Sa découverte principale, il la fait avec sa femme Galina, pédiatre et cardiologue,  en  mettant en évidence une corrélation quantifiable entre entre le taux radioactivité dont un enfant est porteur et la pathologie qu’il développe.          

                 Cette radioactivité qu’il étudie n’est pas celle, reconnue, de l’iode 131 qui provoque troubles et cancers de la thyroïde, mais qui perd la moitié de sa nocivité en une semaine. C’est celle du Césium 137 qui s’est répandue par taches, en léopard,  qui perd la moitié de sa radioactivité au bout de 30 ans. Une radioactivité qui est dans le sol, et que les populations ingèrent à petites doses quotidiennement dans les produits sauvages, mais aussi dans les produits cultivés, dans le lait, la viande, le poisson etc.                 C’est l’influence, sur l’organisme vivant, de ces faibles doses de radioactivité accumulées qui est une donnée scientifique nouvelle.

Publication des résultats de sa recherche        :

                 Or, il décide de ne pas garder ces résultats pour la communauté réduite des scientifiques. Dans la mesure où elle concerne tant les habitants des zones contaminées qui ont à prendre des précautions quotidiennes que les politiques qui ont à prendre des décisions, il la rend publique :  tout naturellement, dans sa logique de chercheur au service de la vérité. Sans la moindre provocation là où pourtant sa femme pressent,  d’emblée, un danger pour lui et sa famille.

                 Dans un premier temps, tout le monde semble l’applaudir. En 1999 le Ministère de la Santé lui demande même, comme à un scientifique de référence, d’évaluer la politique de la Santé et l’usage des fonds qui ont été versés pour venir en aide aux populations touchées par l’accident de Tchernobyl. Dans son rapport, il dit ce qu’il pense : seuls 15°/° des fonds, ont été utilisés à bon escient compte tenu de la situation sanitaire biélorusse. Sans doute se fait-il là beaucoup d’ennemis.

Son emprisonnement et le procès :

                 Toujours est-il que le 13 juillet 1999, 15 policiers arrivent chez lui, fouillent la maison de fond en comble ainsi que son laboratoire, s’emparent de son ordinateur, de ses livres, de ses archives et emmènent Youri Bandajevsky sous le coup d’un décret présidentiel contre le “terrorisme...

                 Il reste 6 mois en prison préventive dont il ne sort que sous la pression internationale, après avoir perdu 20 kilos, le 27 décembre 1999. Il apprend qu’en fait de terrorisme, il est accusé d’avoir reçu des pots-de-vin pour l’admission d’étudiants dans son Institut. Accusation dont on ne trouvera aucune preuve matérielle. Celui qui l’a chargé,  le vice-président de l’Institut de Gomel, lui-même inculpé, se rétracte avant et au cours du procès, disant qu’il a agi sous la contrainte.  Rien n’y fait.               

                 Dans un procès où les observateurs, dont Amnesty ont pu dénoncer au moins 8 infractions au code en vigueur en Biélorussie, il est condamné à 8 ans de prison le 18  Juin 2001.  Il ne comprend pas ce qui lui arrive. La tête dans ses recherches, il n’a manifestement pas eu conscience des forces politiques et économiques qu’il affrontait en révélant sa découverte.  

Mensonges sur Tchernobyl : les poupées russes...

                 Mais nous qui nous sentons concernés par cette affaire nous ne pouvons que nous interroger : comment, à notre époque, un savant qui fait des découvertes utiles pour l’Humanité peut-il être mis en prison sans qu’il y ait une levée de boucliers de tous les scientifiques et politiques des pays démocratiques ?

                Lorsque nous cherchons à saisir les rouages de cette affaire, elle nous apparaît comme les poupées russes : derrière chaque enjeu que nous découvrons, nous en trouvons un autre, plus important, qui vient peser de tout son poids pour refermer le couvercle et laisser Bandajevsky à l’ombre et dans l’ombre.

                1°) Le premier enjeu : c’est la version que les autorités russes et biélorusses ont donnée de la catastrophe. Dès le début, on en a minimisé les effets, en refusant, contre l’avis de Nesterenko, à l’époque haut responsable du nucléaire en Biélorussie,  d’évacuer immédiatement les habitants dans un rayon de 100 Kms. Dix ans plus tard, les autorités veulent réhabiliter les lieux et réintroduire des populations dans les endroits encore contaminés. La théorie des effets dangereux, à court et à long terme, de faibles doses accumulées que soutient Bandajevsky vient à l’encontre de cette politique. Nous voyons dans le film l’opposition entre médecins et chercheurs qui sont sur le terrain et les représentants d’organisations internationales qui sont en parfait accord avec la version officielle russe et biélorusse.          

                2°) C’est là que nous trouvons le deuxième enjeu, de taille, la deuxième poupée russe.  En 1986 le représentant de l’AIEA -à l’époque Hans Blix- déclare que l’humanité peut se permettre un Tchernobyl chaque année. Son nouveau représentant (Gonzales) au congrès de Kiev de 2001, -auquel le film de Wladimir Tchertkoff nous fait assister-, continue à affirmer qu’il n’y a eu, en tout et pour tout, que 32 morts irradiés par l’accident de Tchernobyl et deux mille cancers de la thyroïde supplémentaires, alors que le porte-parole de  Kofi Annam parle de 9 millions de personnes touchées.                

                 De fait, reconnaître la responsabilité de l’accident de Tchernobyl dans la mort prématurée de nombreux “liquidateurs”, mais aussi dans ces pathologies et malformations qui risquent d’empirer dans les générations qui suivent, c’est s’engager dans des dédommagements incalculables. C’est aussi avouer que l’industrie nucléaire peut, lors d’un accident, avoir des effets dangereux pour la santé, à courts et à longs termes.             

                3) Mais l’OMS, dans tout cela. C’est la troisième poupée russe. Elle met 5 ans, à venir sur les lieux nous dit le M. Fernex, médecin de l’OMS. Un colloque sur les “effets de Tchernobyl” a lieu à Genève en 1995 : 700 spécialistes venus du monde entier y révèlent les pathologies nouvelles et les anomalies qu’on pourrait imputer au nuage radioactif qui a fait le tour de la terre. Ce colloque de 1995 n’a jamais vu ses actes publiés. Six mois plus tard, l’AIEA a refait un autre colloque, en donnant la version “officielle” de l’après-Tchernobyl. On découvre qu’un accord secret de 1959 lie l’OMS à l’AIEA et enjoint ces deux organisations de l’ONU de ne jamais se nuire l’une à l’autre, rendant l’OMS dépendante, de fait, de l’AIEA. (témoignage dans le film du président de l’OMS en 1995).

Situation actuelle de Youri             

                Depuis que nous avons programmé cette séance la situation de Youri Bandajevsky s’est aggravée. Le 11 juin 2002, des parlementaires du Conseil de l’Européen, en visite officielle à Minsk ont tenu à le rencontrer dans sa prison. À cette occasion, il a été transféré d’une chambrée de 80 prisonniers de droit commun à une chambre à 3, avec rideaux, télévision et même ordinateur.

                 Mais trois mois plus tard sa femme découvre un homme brisé, physiquement et psychiquement qui ne s’intéresse plus à rien. La chambre en question fait partie de l’Hôpital de la prison et tout laisse craindre une “psychiatrisation“ du prisonnier.

                Avant la projection de “Mensonges Nucléaires” de Wladimir Tchertkoff, nous avons cru bon de vous passer quelques minutes de l’interview de Youri Bandajevsky et de sa femme Galina, réalisée en avril 2000 par W. Tchertkoff, quelques mois après sa sortie de prison préventive.

Propos cité au cours de la Conférence :

                Cependant, du point de vus de la santé mentale, la solution la plus satisfaisante pour l’avenir des utilisations pacifiques de l’énergie atomique serait de voir monter une nouvelle génération qui aurait appris à s’accommoder de l’ignorance et de l’incertitude” Cité dans la Catastrophe de Tchernobyl et la santé  de Michel Fernex.

Rapport de l’OMS N°151 de 1958.

 

Un réseau de soutien s’est constitué :

                Au départ, en sept. 1999, W.Tchertkoff apprend par hasard la nouvelle que Y. Bandajevsky est emprisonné. Avec Michel et Solange (1) Fernex, Bella Belbéoch(2), ils vont alerter Amnesty, qui l’adopte comme prisonnier de conscience. Ils contactent le Président de la République, l’Ambassade, le Parlement Européen etc. La CRIIRAD s’engage dans le soutien en février 2001 et dans le partenariat avec Nesterenko(3) et l’Institut Belrad en février 2002. Elle organise, avec d’autres associations, une manifestation le 25 mai à Genève.

                Le Comité Grenoblois qui se constitue alors rassemble ces différentes organisations et d’autres comme La ligue des Droits de l’Homme (Isère), les Amis de la Terre, l’École de la Paix etc. et s’adresse à tous ceux qui se sentent concernés et luttent pour la vérité et la justice bafouées dans cette affaire. Ce comité agit de concert avec les pionniers du soutien, en contact permanent avec Galina, Nesterenko et les avocats de Youri Bandajevsky.

Parmi les actions possibles :

*      Écrire au Président Loukatchenko, en demandant l’’ amnistie individuelle “cf. modèle ci-joint.

*     Soutien financier à adresser aux « Enfants de Tchernobyl et Belarus », 22 Rue Principale, 68480 BIEDERTHAL

     *    L’information : W. Tchertkoff a réalisé 4 films sur la Biélorussie que nous pouvons prêter. Pour tous documents : contact TEL/FAX: Maryvonne David-Jougneau, 04 76 63 88 38, ou e-mail : mar.davidjougneau@free.fr

 

1)            Présidente de la Ligue Internationale Pour la Paix et la Liberté

2)            Fondatrice du Groupe de Scientifiques pour l’Information sur l’Energie Nucléaire)

3)            Nesterenko, physicien nucléaire, soucieux de la protection des populations au moment de l’accident, est démissionné de ses fonctions et fonde l’Institut indépendant Belrad qui mesure la radioactivité des personnes. Il se maintient en grande partie grâce aux subsides occidentales.