Interview réalisée par Madame Ballentein de La Ligue Internationale

des Femmes pour la Paix et la Liberté (WILPF), et par le

Professeur Andreas Nidecker  de Médecins pour

la Responsabilité Sociale (PSR)

 Suite à l’interview des Professeurs Ostapenko, Kenigsberg et du Dr.Minenko au sujet de la valeur scientifique des travaux du Professeur Youri I. Bandazhevsky, nous avons demandé leur avis au Docteur en Médecine Michel Fernex, Professeur retraité, Université de Bâle, Suisse, ainsi qu’à Madame Solange Fernex, ancienne députée européenne, présidente de la section française de la Ligue des Femmes pour la Paix et la Liberté.



Question : Connaissiez-vous l’Institut du Professeur Bandazhevsky ?


Professeur Michel Fernex : En automne 1998, j’ai visité l’Institut de Médecine de Gomel. Le niveau de cette Faculté de Médecine m’a beaucoup impressionné . Les échanges avec quelques enseignants m’a montré l’étendue de leurs connaissances sur les conséquences de Tchernobyl sur la santé. Les étudiants participaient très activement aux cours.


Ayant pratiqué personnellement la pathologie et l’histologie en Suisse, en France, en Suède avec une bourse de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ainsi qu’au Sénégal, cela m’a permis d’apprécier la tenue remarquable de cet institut, avec des chercheurs actifs, de petits groupes d’étudiants attentifs, appliqués, et des collections impressionnantes.


Le Professeur Bandazhevsky avait préparé pour une commission parlementaire venue de Minsk la veille, une collection des malformations congénitales collectées par son Institut en 15 jours (suite à des avortements thérapeutiques ou chez des enfants morts-nés). Il y avait là les monstruosités qu’on aurait pu prévoir en une année avant Tchernobyl dans un institut comparable.

Question : Que pouvez-vous dire des travaux médicaux de Bandazhevsky ?


Professeur Michel Fernex :  Il s’agit de travaux d’une importance exceptionnelle, je ne partage pas du tout les critiques exprimées par les scientifiques que vous avez interviewés.

Il est m’est impossible d’analyser les nombreux travaux du Professeur Bandazhevsky en quelques phrases, je ne retiendrai qu’un exemple, dans un domaine où j’ai moi-même travaillé : les cardiomyopathies.

En tant que spécialiste des maladies tropicales, j’ai étudié la cardiomyopathie du post-partum à Dakar (très rare en Europe) ainsi que la cardiomyopathie du béri-béri, une avitaminose épidémique dans des populations qui se nourrissent essentiellement de riz blanc.


Bandazhevsky a décrit la « cardiomyopathie du Césium » (Cs137)  : troubles cardiaques chez le petit enfant, mais aussi chez l’adolescent et l’adulte, avec atteinte dégénérative du muscle cardiaque. Il s’agit d’une insuffisance cardiaque progressive, avec troubles du rythme, d’une maladie irréversible à partir d’une certaine durée d’intoxication par le Cs137. La mort subite peut survenir à tous les âges, même chez l’enfant.


Cette cardiomyopathie portera un jour le nom de « Maladie de Bandazhevsky », car c’est lui qui, avec l’aide des physiciens de l’Institut de Radioprotection  « Belrad » a démontré la corrélation constante entre un taux élevé de Cs137 dans l’organisme et les troubles fonctionnnels du coeur.

A l’autopsie de ces malades, il a mesuré le taux de Cs137 par kg de coeur et décrit les altérations morphologiques caractéristiques des cardiomyopathies : dégénérescence des fibres cardiaques en l’absence d’infiltrats cellulaires importants ou d’inflammation, en l’absence aussi d’oblitération coronarienne.

Question : Bandazhevsky souhaitait-il donner son nom à cette maladie ?


Professeur Michel Fernex : Non. Bandazhevsky a une vue plus globale. Parmi les organes qu’il a étudié, ce sont les glandes endocrines, la thyroïde et le pancréas qui accumulent le plus de Cs137. Le coeur et la rate (système immunitaire) viennent en 2e et 3e position. Chez la femme enceinte, c’est le placenta qui fixe l’essentiel du césium, protégeant ainsi l’enfant à naître. Malheureusement, le placenta souffre de cette concentration de Cs137. Il en résulte des troubles endocriniens, avec anomalies chez le foetus, avortements, ou enfants fragiles après leur naissance.

Pour Bandazhevsky, le Cs137 provoque une maladie métabolique générale avec atteinte de tous les organes, même du cerveau. Cette maladie métabolique ressemble au béri-béri, qui affecte aussi tous les organes, parfois le système nerveux surtout dans les cas très chroniques et souvent le coeur.

La comparaison va au delà des syndromes cliniques. Si l’intoxication au radiocésium cesse à temps, la maladie est réversible. Il en va de même dans le béri-béri : si l’on donne de la vitamine B1 à temps, tout peut rentrer dans l’ordre.


Question : Peut-on guérir cette cardiomyopathie ?


Professeur Michel Fernex : Bandazhevsky a travaillé dans ce domaine avec le professeur de physique nucléaire Vassily B. Nesterenko. Ils ont montré qu’avec un régime alimentaire propre, pauvre en Cs137, chez l’enfant et l’animal de laboratoire, on peut éviter des dommages irréversibles au niveau du coeur.


Dans leur enseignement au niveau des écoles de la région de Gomel, ils se sont attelés à la « prévention » : apprendre à manger propre. Malheureusement le régime sans césium coûte cher. Les pauvres continuent depuis la catastrophe à se contaminer à partir des produits de leur terre (légumes, fruits et lait de leur propre vache) ainsi que des produits de la nature : baies, champignons, poissons.

Dans les situations les plus dramatiques, la meilleure solution serait de déplacer les familles dans les zones non contaminées comme le préconisait Nesterenko dès 1986. Comme cela n’a pas été possible, il faut faire appel à la prise intermittente de pectine, un sucre extrait des pommes, qui accélère l’élimination du césium.


Question : Le fait que l’UNSCEAR ne cite pas les travaux de Bandazhevsky est-il une preuve de leur médiocrité, comme l’affirme le Professeur Kenigsberg ?


Madame Solange Fernex :

Le rapport 2000 de l’UNSCEAR sur Tchernobyl a été très sévèrement critiqué à l’Assemblée des Nations-Unies par les délégations du Bélarus et d’Ukraine. Contre toute évidence, il ne reconnaît, comme seule conséquence de la catastrophe de Tchernobyl, que1800 cancers de la thyroïde chez l’enfant et l’adolescent, rien de plus : « aucune augmentation de l’incidence globale des cancers » (paragraphe413), « le risque des leucémies n’a pas augmenté » paragraphe 413) « ni augmentation des malformations congénitales, ni enfants morts-nés ou prématurés » (paragraphe 383), en résumé, l’UNSCEAR affirme « un avenir positif attend la plupart des individus de la région de Tchernobyl » (paragraphe 421).

Et pourtant, en septembre 2000, le Président du Belarus, A. Loukachenko a  lancé un appel vibrant au Sommet du Millénaire des Nations-Unies à New York, pour obtenir une aide internationale pour le Bélarus, où 25% du territoire est contaminé, et où la population est malade. Si l’affirmation de l’UNSCEAR était vraie, et que 1800 cancers de la thyroïde étaient les seules conséquences de Tchernobyl, le Bélarus n’aurait besoin d’aucune aide internationale. L’UNSCEAR décourage les pays donateurs d’aider les pays contaminés par Tchernobyl.


En effet, le 6 juin 2000 le Directeur Général de l’UNSCEAR, Lars Erik Holm a clairement déclaré que les rapports sur une détérioration de l’état de santé de la population suite à Tchernoybl, n’ont aucune base scientifique et ont pour seul objectif d’extorquer une aide financière non justifiée.  

A la Conférence de Kiev sur Tchernobyl (4 - 8 juin 2001), le Dr. Gentner de l’UNSCEAR a expliqué comment son organisme sélectionne les travaux qu’il retient et cite. Il les fait expertiser par des « autorités scientifiques reconnues », à savoir les laboratoires de Los Alamos (Nouveau Mexique, USA) et du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA, France), deux laboratoires qui ont fabriqué la bombe atomique, et qui ne sont pas neutres dans le domaine des effets des radiations sur la santé. Avec ce genre d’expertise, jamais l’UNSCEAR ne citera des travaux du Professeur Bandazhevsky sur les conséquences des radiations sur la santé.


Ne pas être cité par l’UNSCEAR apparaît donc davantage comme une garantie d’objectivité et de transparence scientifique que comme un point défavorable.


Quant à l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique (AIEA, MAGATE), son  objectif principal est : « de promouvoir l’énergie nucléaire pour le bien-être et la santé dans le monde entier ». Il est évident qu’avec ce programme, l’AIEA ne financera et ne citera jamais les travaux de Bandazhevsky sur les effets médicaux gravissimes des radiations.


Selon un schéma présenté en juin par le Ministre de la Santé du Bélarus à Kiev, il apparaît en revanche que le financement des travaux réalisés par l’Institut des Professeurs Ostapenko et Kenigsberg, vient en grande partie de l’AIEA. Ces travaux ont par ailleurs été sévèrement critiqués en 1998 par le Professeur Bandazhevsky, qui s’exprimait en tant qu’expert dans une commission de contrôle.

Lors de son dernier Conseil Exécutif International (1 - 4 août 2001), la Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté (WILPF) a adopté une résolution sur Tchernobyl, dans laquelle elle demande que les Nations-Unies tiennent compte des nombreux travaux qui décrivent les souffrances des victimes de Tchernobyl et non plus des conclusions de l’UNSCEAR et de l’AIEA, qui sont biaisées par des conflits d’intérêts.


Le modèle de risque des radiations sur la santé doit être revu, comme le demande une résolution adoptée le 28 avril 2001 par le Parlement européen, en tenant compte de l’expérience de Tchernobyl, où les victimes incorporent des radionucléides depuis 15 ans par la nourriture.

Nous avons également demandé la libération immédiate du Professeur Bandazhevsky, ainsi qu’un arrêt des ennuis administratifs causés aux chercheurs indépendants de Tchernobyl, physiciens et médecins.